Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, The Barber a été récompensé pour son savoir-faire impeccable, visible à chaque plan, et qui marque le film comme un label indiquant l’origine très contrôlée des effets et du style. Depuis leur début, la technique des frères Coen repose essentiellement sur leur capacité à se réapproprier d’une manière aussi ingénieuse que calculée quelques codes et signes de la culture américaine, à les extraire de leur lieu d’origine -les polars de Chandler, les films noirs des années 1940, les affiches de pub des années Roosevelt, etc.- pour les accrocher à une intrigue le plus souvent dérisoire mais traitée avec une énergie et un sens de la construction qui a parfois captivé le spectateur (Barton Fink, Miller’s crossing). Surtout, les Coen construisent toujours leur film autour d’une « idée » centrale, une idée « concept » qui assure à leur travail une reconnaissance chez les critiques les plus experts mais qui est souvent le sommet du bluff. Il y a eu chez eux une période de franche rigolade, où le pillage savant des Anciens comptait moins que l’énergie tout terrain de l’action (Blood simple, Arizona Junior), mais elle fut de courte durée.

The Barber apparaît comme un exercice de style sans enjeu, un produit patiné comme les chers têtes blondes qui intéressent le personnage principal du film. Fouillant dans leur vieux magasin d’accessoires des années 1940, les deux frères potaches ont dégotté un décor : un salon de coiffure ; des silhouettes et des visages sculpturaux qui attirent le regard ; une bande musicale très « forties » ; une voix-off toute wellesienne ; enfin, une magnifique photographie noir et blanc signée Roger Deakins qui achève de transformer le film en vitrine ennuyeuse de musée Grévin. Et le concept ? Il est contenu dans le sous-titre du film : L’Homme qui n’était pas là. En bons lecteurs de Kafka, en consciencieux élèves de la modernité, les frères Coen savent qu’il convient de raconter le sort de personnages qui s’effacent à mesure qu’on en fait le portrait ; personnages métaphores de l’oeuvre moderne, c’est du 20 sur 20, du « parfaitement assimilé ».

The Barber fait donc le portrait d’un homme dont les actes, volontaires et involontaires, ne tirent à aucune conséquence, glissent sur les choses sans jamais en heurter le cours. Si l’écart constant entre les choix de l’anti-héros coiffeur et leur effet sur la réalité fait parfois sourire, c’est un sentiment d’ennui qui nous saisit face à la succession de séquences illustrant l’idée de départ. Le film qui enchaîne les virtuosités plastiques et les numéros d’acteur -extraordinaire présence-absence de Billy Bob Thornton et épatante démesure de Tony Shalhoub, digne héritier d’Elli Walach- finit par apparaître comme un produit sans nécessité. Une signature, juste une signature.