On attendait d’Amos Gitaï un film aussi singulier et courageux que Kippour. Annoncé comme un film-monstre, ovni entre documentaire et fiction, Terre promise n’est pourtant que la première grosse déception de 2005. Retour en arrière : Gitaï décide de filmer la destinée tragique des prostituées livrées aux mains de la mafia israélienne, de leur départ de Russie à leur mise en boîte dans des bouis-bouis crasseux des tréfonds de Tel-Aviv. Le filmage est celui du documentaire, l’intrigue réduite à sa plus simple expression. Ce qui devait faire la force du film (une sorte de réponse brillante au minable In this world de Winterbottom) se transforme en boulet, Terre promise atteignant le fond de la riche filmographie de Gitaï.

Style documentaire : premier boulet du film car les images signées Caroline Champetier sont sans aucun doute le point fort de Terre promise (dès la première séquence en plein désert), mais dans une perspective exactement contraire à celle de la captation documentaire. La stylisation presque abstraite occasionnée par le numérique, l’épure qui en découle tournent à vide tant Gitaï ne parvient à aucun moment à tirer de ce trésor autre chose que la matière d’un assez trivial reportage 52 sur la Une. Intrigue réduite à l’état de trace : c’est le second boulet de Terre promise, et son plus évident échec : un personnage féminin débarque en plein milieu du film sans que l’on sache ce qu’il vient faire là. On apprendra plus tard que la fille est une journaliste enquêtant sur la filière des filles de l’Est. Même pas dans le film : dans le résumé qu’en fait Gitaï dans diverses interviews.

Ces deux choix, qui auraient dû ouvrir sur une pure matière cinétique (se dégager de la scénographie et du scénario, comme dans Kippour), s’emplafonnent contre l’absence totale d’enjeux du film. Non seulement la vision contrefaite de l’enfer de ce marché de femmes qui est décrite ici ne saisit à aucun moment (on a plutôt l’impression que Gitaï découvre l’eau chaude), mais le cinéaste y ajoute des références pesantes : Holocauste (lors des scène de voyage dans d’atroces wagons ou avec la douche) ou terrorisme (le final délirant où un attentat advient comme une libération pour les filles, qui trouvent dans le chaos de l’explosion l’occasion de s’échapper). On a connu Gitaï plus complexe et plus fin. Espérons que celui-là nous revienne vite.