On ne mesure pas encore tout le mal que Seth MacFarlane a fait au comique américain. Avec une demi-douzaine de séries, dont les infects Family guy (Les Griffin) et American dad, il acheva de vulgariser chez lui le cartoon déviant à la Simpson, King of the hill, Profession critique, South Park, tout en plagiant allègrement ces derniers. Ces séries cultes, depuis longtemps adoubées en France, sont restées clivantes aux Etats-Unis, en dépit parfois d’un marketing cyclopéen. Mauvais signe : alors que même Les Simpson mirent quelques saisons avant d’être complètement solubles dans le mainstream, tout le monde là-bas aime Les Griffin depuis leurs débuts. Engagé par Hanna-Barbera au sortir de son école, MacFarlane est le seul de ses collègues (Matt Groening, Al Jean, Mike Judge, Trey Parker, Matt Stone…) à ne pas avoir connu la case underground. On aurait tort de voir là une preuve de toc ou de nullité ; mais cet indice dit quelque chose sur l’intéressé, dont la trajectoire est moins celle d’un créateur que d’un marketer génial. Il ne crée pas, il truste ; il ne dessine pas, n’écrit pas non plus, il aseptise. Aussi, ce n’est pas tant l’emprunt à d’autres séries qui rend imbuvable, entre autres, Les Griffin : c’est plutôt cette récupération normée, cette façon de gommer les relents punks des vrais satiristes (Groening ou Judge, donc) pour rendre leur humour accessible au plus grand nombre. Et, surtout, pour avoir l’air d’en être l’inventeur (aujourd’hui, MacFarlane s’est arrogé à Hollywood et auprès du grand public le monopole du cartoon cool, foufou et « politiquement incorrect »). Il n’y a qu’à voir son affreuse griffe, proprette, régulière, arrondissant tous les angles : la laideur jaunâtre ou papier-kraft de l’animation US sulfureuse devient chez lui aimable et cosmétique. Plus fâcheux encore, MacFarlane n’a retenu de ses modèles qu’un squelette d’humour dont il fait une formule, une recette tayloriste appliquée à l’envi : une ligne narrative sommaire (vague observation sociale sur la vie du quadra banlieusard) constellée de digressions absurdes tombées du ciel, « out of the blue », dans une sorte de simili-dadaïsme péteux. D’où un sentiment de gratuité et de facilité permanent, renvoyant à la brillante théorie suggérée dans South Park : Les Griffin sont en fait écrits par des lamantins qui, dans leur aquarium, poussent aléatoirement des boules marquées d’une inscription, générant ainsi les gags dont l’Amérique raffole tant.

En un mot, l’arrivée de Ted, écrit, réalisé et doublé par MacFarlane, n’est pas une bonne nouvelle. Passons vite sur l’archétype que ce nounours glandeur, roitelet de la vanne, incarne avec un retard de dix ans bien frappés : Ted est ce trentenaire paumé mais rock n’roll, ce Seth Rogen à la coule qui empêche son copain de rentrer dans l’âge d’homme, bref, on voit bien le canevas ranci. Ce qui interpelle, c’est plutôt la façon dont il concentre tous les trucs et astuces fumistes de MacFarlane : faites tourner une peluche à la beu et à Flash Gordon, bardez-la de références pop à balancer toutes les huit secondes, vous voilà devenu roi du comique barré. Premier hic de cette formule magique : derrière la gaudriole de bon élève, la fantaisie de premier de classe, se cache mal un découpage du réel étriqué dans ses petits souliers. Pour rire devant un ours parlant qui sirote une canette, il faut ne jamais avoir imaginé une telle scène ; pour trouver Ted cool quand il sniffe un rail ou court la gueuse, il faut ne jamais avoir fait faire de gestes obscènes à ses doudous. L’humour de MacFarlane demande en somme d’assécher son imaginaire, de faire comme si ces sautes dans le quotidien, ces écarts de bienséance étaient hors du concevable. D’où la profonde lassitude produite par les parenthèses ouvertes à tout bout de champ : clins d’oeil, autoréférences, gags po(p)stmodernes, tous se bousculent sans qu’un vrai délire, fiévreux, viral, puisse jamais affleurer.

Le deuxième hic, c’est l’impudeur consistant à déballer cette soi-disant finesse d’observation. On se souvient des fantasmes de Woody Allen et de son jeune alter-ego dans Annie Hall : c’était drôle mais toujours à la limite du supportable, parce qu’une petite créature smart, donnée pour être la plus futée, et qui passe son temps à faire de l’esprit, c’est particulièrement harassant. MacFarlane ne sait pas se contenir aussi bien qu’un Allen : Ted synthétise immanquablement la tête à claque ordinaire, la petite entité maligne et intarissable qu’on rêve de démantibuler à petit feu, voire de décapiter en hurlant. Au rayon des mascottes licencieuses, d’ailleurs, on préfèrera largement revoir Howard the duck, monument creepy des années 80. Difficile de retenir une autre leçon du film, dont la morale se noie dans la tarte à la crème du « post-Apatow ». En VF, le nounours est doublé par JoeyStarr.