Avec seulement quatre longs métrages en 15 ans de carrière -tous d’incontestables succès-, Etienne Chatiliez a jusqu’ici conjugué avec un instinct infaillible la prudence et l’audace, l’intégrité et la séduction. Un tel exemple de franchise et de réussite (au prix toutefois d’une filmographie maigrichonne) mérite d’être salué, ne serait-ce que par cette capacité à faire un cinéma populaire qui échappe à la logique opportuniste et répétitive de la comédie consensuelle visant le prime-time du dimanche soir. Petit maître de la farce sociologique, créateur de quelques mémorables personnages de tête à claques et fort d’un ton libertaire et caustique qui n’appartient qu’à lui, il revient cette année avec Tanguy, portrait d’un brillant énergumène qui, à 28 ans passés, a du mal à décoller de chez papa-maman.

Normalien, agrégé de philo, Tanguy n’en finit pas de terminer sa thèse de chinois. Paul et Edith (Azéma et Dussolier), quinquagénaires friqués qui fréquentent le tout-Paris, commence à s’inquiéter de voir leur fils s’éterniser dans le magnifique appartement qu’ils occupent, faire entrave à leur intimité et même s’incruster dans leur cercle d’amis. Tanguy profite de la situation pour faire lambiner sa régulière, qui voudrait vivre avec lui, et pour ramener en douce ses conquêtes d’un soir dans sa chambre d’adolescent attardé. L’idée de quitter son nid douillet ne lui effleure pas une fois l’esprit, et le couple commence à prendre en grippe leur brillant rejeton devenu un intrus permanent. Face aux ruses inavouables de ses parents pour lui faire vider les lieux, Tanguy oppose tranquillement son indéfectible affection filiale, et s’accroche au foyer comme une moule au rocher… Le sujet de Tanguy vient d’un fait divers advenu en Italie que l’on a rapporté à l’auteur de Tatie Danielle (autre histoire d’incruste prenant le contre-pied des préjugés sur la famille) : un jeune homme de 30 ans avait traîné ses parents en justice pour les obliger à le reprendre sous leur toit. « Il m’est venu un petit sourire vicieux » confesse Chatiliez. Effectivement, on retrouve dans Tanguy son esprit de contradiction face aux idées bien pensantes sur les liens familiaux, son goût féroce pour les situations tordues et pourtant révélatrices de l’hypocrisie ambiante.

Malgré toutes ces bonnes intentions, et un casting irréprochable, le scénario de Laurent Chouchan s’essouffle un peu vite. On est rapidement déçu par un certain manque d’imagination dans les gags (dont beaucoup tombent à plat) et la pauvreté des trouvailles comiques. Certes, on retrouve les grincements jouissifs de Chatiliez, la noirceur d’un humour qui traque avec justesse et drôlerie l’obscénité des actes et des pensées : le gugus bien sous tout rapport est aussi un fieffé queutard qui trompe sans vergogne sa copine. Plus tard, Paul et Edith débarrassés de leur gamin se paient une lune de miel à la limite du ridicule. Mais en dépit de son amusant jusqu’au-boutisme, le film ne parvient pas à s’extraire d’une logique prévisible, et à nous surprendre autrement que par ses postulats de départ. Il s’installe un rythme laborieux et répétitif, auquel Chatiliez ne nous avait pas habitué. C’est dommage car si l’écriture perd en efficacité comique par rapport à ses précédents films, se contentant d’une mécanique facile et peu inspirée, la mise en scène de Chatiliez a gagné en mordant et en intelligence. Tangy est donc peut-être un rendez-vous manqué entre un réalisateur et son scénario (scénariste ?), et souffre finalement d’être une comédie un peu trop comme les autres.