Peut-on rapidement passer sur l’extrême indigence de la mise en scène du tâcheron Clark Johnson responsable de cette chronique réactionnaire pataude ? Pas vraiment. Hasard ou non, son parfait non-style trouve un écho à l’idéologie que brocarde le petit groupe de têtes brûlées du SWAT, brigade d’intervention type GIGN : une unité pure et parfaite (traduire un scénario en image), une dévotion sans faille au travail (aligner sans y réfléchir les morceaux de bravoure), une recherche volontaire de standardisation (l’ouverture du film, où la caméra dépasse les collines d’Hollywood pour atterrir sur une scène de fusillade), une rationalisation absolue de chaque membre, de chaque sexe.

De ce cahier des charges point cependant une nuance. Autoproclamé film de service militaire, SWAT évite le conflit petit chef -jeune recrue, et plus largement, nie tout apprentissage. Samuel Jackson, qui endosse à nouveau le treillis du sergent instructeur (après L’Enfer du devoir et Basic) se débarrasse de tous les oripeaux sombres et ambigus qui souillaient ses précédents uniformes. Au fond, il n’est ici qu’un simple assembleur de luxe qui dirige des troupes déjà acquises à sa cause. Des troupes bien rangées, par âge, couleur et sexe, qui trottinent gaiement la fleur au fusil, comme prédestinées à bosser. Ce culte du rapport au travail, rêve incontestable des capitalistes forcenés, trouve son naïf accomplissement dans le film. Il faut voir ce que retient Johnson des pauses détentes des membres du groupe : la sonnerie du bipper annonçant la reprise inattendue du boulot, sonnerie pas spécialement vécue comme une mauvaise surprise. L’enfer, pour les jeunes recrues membres du SWAT, ce n’est ni le chef, ni les entraînements, ni même les missions, mais tout le reste. Le conflit existe donc finalement, mais dans son épure la plus sauvage, ou plutôt dans sa dernière phase : la sanction. Retranché derrière son postulat comme enfoui dans un bunker, Johnson instaure tout du long une politique défensive, vénère le repli sur soi (le groupe, le chef, la mission) et stigmatise le reste : civils, étrangers, argent, plaisir, bureaucrates. Ce dispositif engendre donc une paranoïa radicale : le renvoi -pourtant justifié- d’un des flics suscite sa psychopathie, la délation légère de Colin Farrell un humiliant placard. Avec une bonhomie détestable, Johnson transforme chaque différence en menaces concrètes. Les pires bad guys sont donc épicuriens et étrangers (le frenchy Olivier Martinez en gangster charismatique), les seconds couteaux des traîtres, les marginaux de la société des ratés (le casse pour rien des gangs).

De cette grossière généralisation en règle où tout s’avère potentiellement dangereux et mauvais, le film révèle cependant assez justement les fantasmes de la face puritaine et populiste de l’Amérique. Et c’est peut-être ce qui le sauve du désastre. En fin de compte, SWAT est peut-être le seul film absolument bushien, le seul à cataloguer avec autant de sincérité les fantasmes populos du citadin moyen post-11-Septembre. Des héros saints, heureux et humbles (tous les fanfarons sont fusillés), des minorités qu’on laisse correctement exister sans trop encombrer (la fille latino et le rapper black LL Cool J en seconds rôles gentillets), un patron cool et musclé. Une sorte image d’Epinal si fière d’elle-même, si didactique à faire rêver, si bornée dans ses intentions qu’elle parvient à dépasser l’oubli total à laquelle elle était pré-destinée. Au contraire, elle file la nausée.