Avec un titre comme Superlove et une affiche signée Pierre et Gilles, on pouvait s’attendre au mieux à une comédie ultra-kitsch indigeste. Mais les apparences sont trompeuses car ce premier film de Jean-Claude Janer est aux antipodes de nos a priori : résolument décalé, furieusement drôle, délicieusement inquiétant.
Mario (Grégoire Colin) est garçon-coiffeur et -logiquement- homosexuel. Un soir, à la suite d’un accident de mobylette, il rencontre dans une clairière Marie-Hélène, une jeune fille enceinte vêtue de blanc (Isabelle Carré, enfin révélée). Il la ramène chez lui où, très vite, elle affirme être la Vierge. Les existences de Mario, de sa belle-mère Teresa (Carmen Maura) et de sa jeune demi-sœur Carolina (Katia Khazak) vont être bouleversées même si la véritable identité d’une Marie-Hélène de plus en plus agressive demeure bien floue…

Impossible de détailler le récit de ce film foisonnant qui ne ressemble à nul autre, mais dont l’extravagance du postulat ne contamine en aucun cas le traitement esthétique : grain apparent de l’image, prédilection du plan fixe, belles couleurs hivernales. La direction d’acteurs, quant à elle, se situe entre une approche bressonnienne pour le phrasé impassible et l’hypnose hallucinatoire pour la gestuelle et le regard. Il est rare aujourd’hui de découvrir un cinéaste qui ose imposer un ton collectif à ses comédiens, comme une sorte de charte rigide mais permettant l’accès à une dimension méconnue de leur art, vers un mystère insondable et fascinant. A l’image du jeu de ses interprètes, Superlove se situe souvent à la lisière du fantastique, avec son climat nocturne, ses complots mystiques, ses personnages tourmentés (Marie-Hélène, la petite fille épileptique, et surtout la femme du général -excellente Michèle Moretti- qui module sa voix en fonction des morts souhaitant s’exprimer à travers elle). Mais c’est au sein même de son étrangeté que l’humour prend son essor : il faut voir Marthe Villalonga en amnésique aiguë, entourée de personnes étiquetées avec leurs noms respectifs (tout comme les pièces de la maison, les objets et les vêtements) afin que l’aïeule se repère ; ou encore Carolina donner des coups de poing à son institutrice et à sa mère pour leur prouver que la Vierge l’a rendue invincible.
De plus, Janer n’hésite pas à inclure dans son film une dimension « France populaire » qu’il retravaille avec une originalité et une force sidérantes : quel cinéaste français sérieux (à part peut-être Godard) aurait osé prendre Dave comme acteur et faire avec le Partir un jour des 2 be 3 dans sa bande sonore ? Janer transforme ainsi en or les paris les plus risqués et fait de Superlove un film d’une rare audace dont l’invraisemblable mais indéniable réussite révèle un talent singulier.