Adaptation d’un roman éponyme d’Amélie Nothomb, Stupeur et tremblements est le récit à la première personne d’une jeune Française qui revient sur les terres de son enfance -le Japon- le temps d’un stage en entreprise à Tokyo. Très vite, l’expérience tant attendue de la rencontre avec l’Autre vire au cauchemar, l’altruisme culturel et la bonne volonté sans limites de la jeune femme pour intégrer le groupe, se heurtant sans cesse aux us et coutumes complexes de la multinationale. Peu à peu, l’entreprise devient le théâtre d’un affrontement qui va crescendo entre les aspirations sincères d’Amélie et la fermeture tout aussi sincère qui lui est imposée par sa hiérarchie.

Alain Corneau est un habitué des adaptations littéraires. C’est avec elles qu’il réalise d’ailleurs ses meilleurs films, parce que la source littéraire est souvent chez lui accrochée à autre chose qui la transforme, manière de s’écarter de la « routine policière » (Le Môme, Le Cousin) : c’est Georges Perec relisant Jim Thomson pour Série noire et créant un champ très contemporain à la sublime performance de Patrick Dewaere ; ou encore, l’écriture a priori inadaptable d’Antonio Tabucci pour Nocturne indien qui a trouvé un passage possible à l’écran, essentiellement par la rencontre avec Jean-Hugues Anglade et aussi la passion bien tangible de Corneau pour la ville de Bombay. Hélas, rien de tout cela dans ce Stupeur et tremblement ! Est-ce à dire que Corneau n’a pas trouvé l’actrice capable de dépasser le texte d’origine et de sortir de l’adaptation plate ? Loin de là, car la prestation de Sylvie Testud est le grand bonheur du film, son rythme, son élan. Dans le rôle de l’ingénue humiliée, l’actrice semble être au diapason de son personnage-modèle : drôle, burlesque, inattendue. Malheureusement, Alain Corneau a ici pris le parti d’une fidélité à la lettre au roman de Nothomb sans choisir d’option de cinéaste. Cela finit par retirer à son film tout regard sur le texte. On a le sentiment bizarre d’assister à la mise en image d’un roman avec voix off qui cite les passages et illustration avec comédiens ; comme si le film avait pour fonction principale de combler une absence de lecture du roman de Nothomb.

Comme le livre, le film entrecroise deux lignes narratives : d’abord, il suit les rejets et humiliations divers subis par la stagiaire, l’adversité prenant chaque jour de nouvelles formes et chaque fois plus violentes, conduisant non seulement à l’inutilité d’Amélie au sein du groupe mais bien plus à la lente destruction de sa dignité. C’est le volet comique du film qui raconte comment la jeune femme se retrouve pour son dernier poste dans les toilettes de la boîte avec pour mission de changer les rouleaux de papier, après avoir écumé les tâches les plus ingrates, depuis la banale tournée des cafés matinaux jusqu’aux photocopies en passant par la mise à jour des horloges et des calendriers ; mais, il y a un volet plus noir de l’histoire que Corneau traite à moitié et qui, pourtant, ne manque pas d’intérêt : c’est la réaction d’Amélie face à ce destin d’humilié, mélange de résignation et de pulsion masochiste qui la conduit à se défaire de son identité pour cadrer avec les désirs de ses maîtres. C’est sous cet angle qu’on aurait aimé apprendre quelque chose sur le Japon ou sur le livre de Nothomb. Au lieu de cela, il faudra hélas se contenter d’une récitation illustrée.