Réalisé pour trois francs six sous dans la foulée de The Visit, Split confirme le virage low cost du cinéma de M. Night Shyamalan. C’est qu’après avoir conféré au genre plusieurs années de respiration classique et souveraine (l’enchaînement, à l’orée des années 2000, des super succès Sixième Sens, Incassable, Signes et Le Village), ses revers au box-office (La Jeune Fille de l’eau, After Earth) ont mis en veille prolongée la quête d’absolu du jeune maître, qui se réfugie aujourd’hui dans de petites formes expérimentales et modestes. Un second souffle qui avait trouvé en The Visit sa première et éclatante manifestation : sans pression et sans impératif, cette déclinaison d’Hansel et Gretel chez papy-mamie progressait d’un pas léger à la frontière de la comédie et de l’épouvante, en ravivant à chaque séquence les forces éteintes du prodige, capable de faire basculer une scène domestique dans la terreur pure avec le naturel tranquille d’un battement de cil.

Il y avait donc toutes les raisons d’ouvrir grand les yeux devant ce Split au pitch idéalement récréatif : le film narre en effet le kidnapping d’un trio d’adolescentes, arrachées brutalement à leur smartphone par un déséquilibré aux identités multiples, qui les enferme dans ses sous-sols pour les offrir en pâture à un démon assoiffé de sang. Or, loin de s’en tenir à la dimension superficielle de son intrigue (trois petites souris doivent s’évader d’un labyrinthe-cerveau), Shyamalan s’amuse à découper sa trame en plusieurs morceaux, ouvrant son huis clos à une forme composite et éclatée — split, indique le titre. On accompagne ainsi les journées délirantes de son psychotique caméléon, entre visites chez la psy et face-à-face travestis avec ses victimes, tout en découvrant de flashback en flashback l’enfance douloureuse d’une des captives, dont le passé d’enfant maltraité semble trouver un écho troublant avec celui de son bourreau.

À l’instar de son protagoniste schizo, le film s’emploiera à changer de peaux et de tempéraments à chaque séquence, soucieux de faire vibrer ensemble plusieurs notes, en une étrange orchestration de l’épouvante, à la fois douce et grand-guignolesque. Si ce parti pris séduit de prime abord, rappelant combien le maître excelle à tracer des chemins clandestins sur le terrain balisé du conte horrifique, on regrette un peu l’effilochage du dernier tiers du récit, usé par un trop plein de pistes que la mise en scène n’a plus d’autre choix que d’amalgamer à grands coups de pirouettes scénaristiques. On sait combien Shy la malice peut se laisser égarer par son goût pour les effets de manche et les dénouements gigognes : enterrée au fond d’un scénario qui multiplie les tiroirs, l’émotion de Split peine ainsi à affleurer.

Et pourtant, au milieu de ce fatras de qualité variable, le coeur chaud de ce cinéma continue de battre sa belle cadence mélancolique. Encore et toujours, il s’agit de dresser le portrait d’enfants dévastés par le chagrin, cachant dans leur solitude bizarroïde le secret d’un traumatisme. Le cinéaste n’a pas son pareil pour transformer chaque intrigue surnaturelle en petit jeu de pistes et de décryptage, dont le cheminement vient progressivement remodeler sur le territoire des chimères les blessures inavouables de l’être. Une manière, chaque fois, de rappeler que nos cauchemars n’ont d’autre secret que nous-mêmes, qu’il suffit d’en soulever le couvercle pour y trouver le mode d’emploi de nos existences. Rien de foncièrement neuf, donc. Mais en même temps, impossible de ne pas se laisser ensorceler par ces épreuves d’exorcisme en milieu fantastique, où dans les replis sombres des mauvais rêves, les monstres du réel peuvent enfin être affrontés droit dans les yeux.

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