A première vue, c’est un film de personnages. Voici, saisis dans un moment où ils ne peuvent tricher -le sommeil-, le fils, la fille, le père et la mère. Carré mathématiquement parfait autour duquel tout va se nouer. Mais les angles semblent trop droits pour n’être autre chose qu’une illusion : les héros de Muccino sont des insatisfaits. Le père rêve d’écriture, la mère de théâtre, la fille de célébrité, le fils de flirts… Deux heures durant, ils vont se mentir, se croiser, puis se résigner, sur la scène où se joue leur avenir commun. Le monde extérieur n’existe que par rapport à cette famille. La maîtresse du père ne semble pas avoir de vie en-dehors de ses rencontres avec son amant, les liaisons de la fille disparaissent une fois l’héroïne lassée. Même la caméra reste au service de l’état d’esprit de chacun des quatre personnages, vive et nerveuse dans les moments de dispute, quasi statique dans les instants de méditation. Tout est dans ce contraste entre les moments sereins et les scènes criardes : parce que les personnages parlent trop, ce qu’ils disent à peu d’importance. Au contraire, ce sont les gestes, les regards -en perpétuel décalage avec la parole- qui priment. C’est pourquoi ce sont les acteurs les plus « expressifs » qui s’en tirent le mieux, ainsi de Laura Morante, magnifique, alors que Monica Bellucci et Fabrizio Bentivoglio semblent s’être trompés de tournage.

Hélas, cette ronde des sentiments n’est pas assez captivante pour que l’on s’intéresse aux problèmes existentiels de ces bourgeois, qui à force d’hystérie oublient d’être émouvants. Le réalisateur souligne avec tant de tendresse le comportement de ses héros qu’il semble répugner, paradoxalement, à ne pas tout montrer d’eux. Et si finalement Muccino, bien au-delà d’un simple marivaudage, s’intéressait à tout autre chose ? Il y a dans Souviens-toi de moi une mise en abîme effrayante. Le spectateur est sollicité comme un voyeur dans la vie de cette famille. Il assiste avec gêne à leur volontaire entretien des apparences. Ce n’est pas un hasard si les héros rêvent tous à se créer une autre identité : chacun a en lui une conscience qui se rebiffe éternellement contre la tranquille monotonie de sa vie. Le film n’a alors réellement de début ni de fin. Les générations se suivent et se ressemblent : alors que les parents se souviennent, les enfants préparent leurs souvenirs… Le spectateur n’est pas dupe du happy end. « Tout finira par bien aller » est la conclusion ambiguë que tirent les personnages de Muccino : en fait, ce sont les apparences qui triomphent, à l’image du faux sourire fatigué du père qui pose pour la photo de Noël après avoir convenu d’un rendez-vous avec son ancienne maîtresse.

Malheureusement, Gabriele Muccino n’en est pas à ses premières armes. Malgré tout l’intérêt bienveillant que l’on voudrait porter à son nouvel opus -plein de bonne volonté-, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’à peu de détails près, il est l’exact clone du précédent, L’Ultimo baccio (Juste un baiser), qui avait triomphé en Italie en 2002. Souviens-toi de moi a beau être un joli film, il prouve que le retour sur la scène internationale du cinéma italien n’est pas encore à l’ordre du jour.