Voici un drôle d’objet venu d’Iran, on l’aime beaucoup. Découvert l’an dernier à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Sommeil amer est une heureuse anomalie dans le cinéma iranien, cinéma avec lequel, il faut le dire, on a parfois du mal à rester ami. Souvent empêtré dans une imagerie poético-métaphorique façon Makhmalbaf, le cinéma du pays des Ayatollahs enfante de très mauvais cinéastes champions de festival (l’affreux Bahman Ghobadi). Bien sûr il y a aussi Kiarostami, à qui l’on donnerait toute la filmo française depuis vingt ans pour un seul plan ; bien sûr il y a Jafar Panahi et quelques autres. Mais il faut dire qu’une certaine méfiance prévaut devant chaque nouveau nom, en réponse à un emballement un peu surfait produit dans les années 90. Alors qu’a réussi Mohsen Amiryoussefi, dont c’est le premier film, qui le sépare du tout-venant de la production iranienne ? Rien, tout : une comédie. Mieux, une comédie post-mortem. Ne quittez pas la salle avant d’avoir vu le générique, entièrement habité par des morts : un film de feu Mohsen Amiryoussefi, avec le regretté Abbas Esfandiari, la lumière est de feu Bayram Fazli, etc. Pas mal.

Sommeil amer se déroule entièrement dans un cimetière. Son héros s’appelle Esfandiar, il dirige le repos des morts, qu’il lave avant de les inhumer, selon le rituel. Il dirige aussi les vivants, l’équipe de bras cassés employés du cimetière et doit penser à sa succession le jour où il est pris d’un malaise. Mais à force de côtoyer les cadavres, Esfandiar a fait copain-copain avec Azraël, l’ange de la mort, et possède des dons extralucides via sa télé. Macabre mais pas roublard pour un sou, Sommeil amer détonne par son humour et sa manière froide -c’est de rigueur- d’envisager la réalité de son lieu. Mohsen Amiryoussefi installe une telle proximité avec le vieux grincheux qui lui sert de héros qu’il parvient à jongler -acrobatie périlleuse- entre méchanceté bienveillante et douceur effroyable des situations. Belle surprise. Ne reste plus qu’à espérer que l’autre belle anomalie iranienne de la Quinzaine 2004, The River’s end de Behrouz Afkhami, puisse elle aussi accéder à nos écrans.