Produit par un studio d’Etat et réalisé sous le contrôle du gouvernement chinois (Wang Xiaoshuai a longtemps figuré sur la liste noire des réalisateurs interdits de tournage), So close to paradise s’accommode avec ingéniosité des contraintes officielles.
Intégralement incorporés à la réflexion du cinéaste, les inévitables aspects éducatifs (évocation des dangers de l’émigration en ville pour les paysans) et propagandistes (lutte contre la prostitution et les triades) fonctionnent comme des écueils, auxquels viennent se heurter les cheminements individuels de trois personnages. Gao Ping et Dong Zi, en quête de fortune, ont quitté leur village pour une grande ville de chine continentale. Tous deux vont tomber sous le charme de Ruan Hong, une Vietnamienne chanteuse de cabaret. Gao Ping devient vite son amant. Malheureusement, elle est la femme du chef d’une mafia locale. L’issue des confrontations qui naissent de cette situation, en forme de lutte entre l’intime (le sentiment amoureux) et le collectif (le pouvoir d’un groupe), le désir personnel (vivre en ville) et la logique sociale (les paysans n’y ont pas leur place), tourne inexorablement en faveur de la masse. Construit du point de vue de la voix off de Dong Zi, qui raconte des faits passés et révèle des événements clés avant qu’ils ne surviennent à l’image, le récit épouse la forme de la fatalité. Celle qui pèse sur chaque individu et qui programme sa défaite (ou son renoncement) face aux forces de la collectivité.

Entre-temps, les désirs individuels se renforcent (l’amour entre Gao Ping et Ruan Hong, la volonté de Gao Ping de récupérer l’argent récolté dans une escroquerie et que la mafia lui a dérobé), la personnalité hésitante et atrophiée de Dong Zi s’affirme (ses sentiments pour Ruan Hong, son attachement à la ville et au travail honnête). L’individu ne renonce pas et fait front. Caméra à l’épaule, Wang Xiaoshuai trace au plus près les trajectoires confuses et percutantes de ces destinées fragiles qui viennent se frotter aux plans stables et fixes de la confortable assurance des différentes castes sociales. L’illusion nécessaire à la survie d’un indispensable espoir d’affranchissement du groupe parvient même à émerger au hasard de quelques plans qui, jusqu’à la fin, laissent entrevoir de brèves éclaircies (la sexualité réussie pour Gao Ping et Ruan Hong, leur résistance à la mafia ; l’onirisme romantique qui entoure la liaison sentimentale entre Ruan Hong et Dong Zi, la persévérance de Dong Zi à rester en ville). Cet élan émancipateur interroge insidieusement la légitimité de la règle commune (qu’elle soit légale ou hors-la-loi) et la remet en cause en soulignant l’écart injustifié qui la sépare de certains désirs intimes (Dong Zi assis devant le cabaret fermé par la police ou poussé à quitter la ville en raison de revenus insuffisants). Une loi contre laquelle certains individus finissent par user leur vie jusqu’à la corde.

Malgré ça, So close to paradise souffre de l’absence d’un élan à même de transcender ces destinées individuelles, d’une conviction capable de transgresser la superficialité de toutes les conduites édictées par et pour la masse. Manifestement, à l’image de ses personnages, Wang Xiaoshuai n’a pu se libérer intégralement d’exigences qui le dépassent, pour parvenir à livrer un film plus radical.