Attendu au tournant, Christophe Gans l’est plus que n’importe qui en France, qui plus est sur ce projet d’adapter Silent Hill, jeu culte par excellence, lui-même emprunt de cinéma. On comprend donc aisément ce qui a plu à l’ex rédacteur de Starfix, tant la matière et les ambitions de Silent Hill lui ressemblent ou du moins lui parlent : transcender la cinéphilie et les codes chéris du film de genre, malaxer cette pâte jusqu’à la rendre totalement homogène. Hélas, comme d’habitude, Gans échoue tristement, jamais loin d’atteindre quelque chose, mais retombant dans un fracas dégoulinant d’occasions manquées, de sauvetages avortés et de grands spasmes qui déséquilibrent le frêle terreau de base. De la fluidité, il n’y a donc pas, mais comme toujours à la place un aligo bourré de grumeaux et bourratif tout court.

Tout commence plutôt bien, on le répète, notamment grâce à une écriture alerte qui va (relativement) droit au but. Rose emmène sa fille adoptive dans la ville de Silent Hill pour apaiser une angoisse sourde qui ronge cette dernière lors de multiples et suicidaires crises de somnambulisme. Seulement voila, la ville s’avère une bourgade maudite, nimbée de cendres, déserte et cotonneuse. Très vite, Gans va l’appréhender comme un terrain de jeu palpitant où il y reproduit ses émotions de spectateur (et de joueur) favorites : soigner les décors et revendiquer son maniérisme. Comme pour Le Pacte des loups, le film s’égare, assez mal fagoté mais avance tout de même, mue par son trop-plein d’enthousiasme. La première scène angoissante est à ce titre un petit sommet : l’héroïne parcourt les dédales du décor, s’y perd aussitôt et Gans de procéder à une inflation graphique bouillonnante. L’emphase chez lui est autant pyromane que touchante : elle détruit tout sur son passage -l’ébauche d’une scène construite, en bref d’une grammaire-, mais dans le même temps provoque une certaine beauté enfantine faite de pieds dans le plat, de débordements et de giclements de peinture.

Ça tombe bien puisque Silent Hill est avant tout l’observation béate d’un monde cyclique qui se retape ou se détruit tout seul. Schizophrénie purement esthétique qui aurait inspirée n’importe quel styliste vraiment raffiné (entre Ridley Scott et Adrian Lyne) et surtout vraiment styliste. Car Gans s’emballe et à mi-parcours n’a plus de grain à moudre, plus d’angoisse à distiller. Alors l’embryon de cinéaste meurt et le cinéphage reprend le dessus, sans une once d’assurance. Derrière l’élégance de façade, on sent une panique poindre : que raconter, comment alimenter le canon à image dont on vide le chargeur avant d’avoir visé. La pulsion enfantine plutôt galvanisante (la course poursuite, la peur, le plaisir de gribouiller avec de nouveaux feutres, ici les effets spéciaux) laisse place à un discours adolescent dénué d’enjeux réels. La posture est à son sommet : on raconte à la manière de pour rendre la métaphore politique plus funky (la critique de l’Amérique puritaine ultra gratinée), on tarabiscote l’intrigue à grands coups de cuillères à pot, on justifie en quelque sorte le maniérisme (l’explication finale, où quand le détraquement agace plus qu’il n’émeut). Une brochette d’antisèches ne fait définitivement pas une bonne copie, cela se vérifie aussi au cinéma.