L’enthousiasme soulevé par le jeune cinéma chinois se devait tôt ou tard d’être tempéré. Après les révélations successives de Jia Zhang Ke (Xiao Wu, artisan pickpocket), Fruit Chan (Made in Hong Kong) ou encore Lou Ye (Suzhou River), Shower tombe à point nommé pour démontrer que tout le celluloïd provenant de Chine ne brille pas et que, là-bas comme ailleurs, une conception plus classique du cinéma et de ses possibilités narratives est toujours à l’œuvre. Zhang Yang, réalisateur de la sixième génération, signe ici un deuxième film qui néglige volontairement toute recherche formelle pour se concentrer sur un récit simple et linéaire, soucieux de capter l’attention d’une large audience internationale. Il semble avoir visé juste puisque Shower, présenté dans divers festivals, a raflé de nombreuses récompenses, dont deux prix du public.

Malheureusement, ce qui rend ce film sympathique aux yeux des spectateurs semble largement sujet à caution. Tant par son sujet que par son traitement, cette comédie dramatique si « typique » et « chaleureuse » n’a de cesse de se conformer du mieux possible à des modèles occidentaux discutables, utilisant le décorum traditionnel chinois comme une simple toile de fond, un décor d’opérette destiné à mettre en valeur une fiction et un discours on ne peut plus conventionnels et aseptisés. Un jeune Chinois retourne dans sa province natale pour rendre visite à son vieux père et à son frère cadet, retardé mental, qui tous deux dirigent un vétuste établissement de bains dans un quartier délabré, promis à une destruction prochaine. Le citadin, acquis à la cause du modernisme et de la technicité, s’oppose dans un premier temps au mode de vie désuet et traditionaliste des siens avant d’être conquis par leur simplicité de cœur et leur altruisme. Et d’adopter in fine leur point de vue nostalgique sur l’irréversible passage du temps et ses douloureuses conséquences.

Pour schématiser, il s’agit d’une transposition des récits de Splendor ou Cinema Paradiso, du cadre de la petite salle de cinéma de quartier à celui des bains-douches. L’endroit menacé incarne les mêmes valeurs : un passé qui ignore encore le spectre menaçant de l’automatisation, un lieu populaire d’échanges oraux, ultime vestige d’humanité face aux avancées techniques en matière de communication. Shower dit la même chose que le cinéma de Tornatore, se plaint des mêmes maux et recourt à des dispositifs émotionnels semblables. D’où une galerie de personnages secondaires individualisés chacun par un trait d’excentricité qui lui est propre, ainsi que des confrontations familiales et générationnelles qui se chargent d’instaurer l’équilibre souhaité entre humour et pathos. Zhang Yang lorgne ici vers ce que le cinéma occidental (l’Amérique aussi a ses Tornatore !) propose de plus rétrograde et ennuyeux : une vision passéiste et larmoyante du monde, une nostalgie qui confine au réactionnaire, un cinéma de papa lénifiant et domestique. Inutile de dire qu’il se tourne dans la mauvaise direction et que son regard s’y perd.