Depuis Parfait amour, Catherine Breillat gambergeait ce film, celui où elle pourrait enfin faire de sa philosophie du cinéma son sujet, montrer les vertiges et les mystères auxquels son travail la confronte, particulièrement dans son rapport aux acteurs. Moins pour dissiper les malentendus à propos de ses films que pour en sonder l’inconscient, arpenter les zones troubles où la volonté créatrice se mêle aux relations humaines, tronquées, surjouées, exacerbées par l’atmosphère d’un tournage Sex is comedy est l’anti-making-of : un documentaire ne montre que le dispositif du film, approche peut-être les intentions et la psychologie du réalisateur et des acteurs. Breillat cherche autre chose : Jeanne (Anne Parillaud, séduisante et convaincante) est un double d’elle-même, le décor est une réplique du plateau de A ma soeur !, l’action est le tournage de la longue négociation sexuelle, séquence centrale de ce dernier film. Plus la transparence est réelle, plus Sex is comedy s’affirme comme un défi de mise en scène, un autoportrait qui atteint l’épaisseur et la densité d’une fiction.

Tout commence sur une plage : Grégoire Colin et Roxane Mesquida (la jeune actrice de A ma soeur !) ne savent pas s’embrasser. La lumière baisse, la pluie tombe, tout le monde trépigne ; Jeanne montre son obstination et sa mauvaise humeur -situation standard du film dans le film, mais qui, peu à peu, se recentre sur les relations de Jeanne avec ses acteurs. Grégoire Colin, récalcitrant, ne comprend pas qu’il est manipulé, cherche encore à montrer ses talents d’acteur. Amusant jeu de dupes, qui aboutit à la terrible dépossession de soi qui est pour Breillat l’essence même du cinéma. L’art est de forcer un acteur à l’abandon, à lâcher prise, à se défaire de son image. Breillat montre aussi le jeu de rôle qu’est un tournage : Jeanne et son indéfectible assistant répètent ensemble une scène de lit, la réalisatrice insistant pour faire le garçon. Sex is comedy explore toujours l’intimité -seul territoire du cinéma de Breillat- et on a le sentiment d’un regard qui à nouveau brise un tabou, celui de la création, et place le spectateur dans une situation inhabituelle.

La part la moins intéressante est finalement lorsque l’autoportrait ne transite que par le dialogue : les slogans de Breillat, suffisamment rabâchés dans les médias, agacent lorsqu’ils sont placés avec naïveté dans la bouche du personnage. Mais l’humour des situations, l’espièglerie et la légèreté du ton (qui semblait perdue depuis son deuxième film, l’attachant Tapage nocturne qui déjà flirtait avec l’autoportrait), font de Sex is Comedy un film revigorant et salvateur pour le cinéma de Breillat, par moments guetté par l’anémie. Certes l’émotion ne passe pas toujours, le film est encore trop conscient, déjà mâché et digéré par une réalisatrice qui ne laisse pas toujours la possibilité au spectateur d’éprouver une émotion qui soit sienne. Mais cela n’empêche pas Sex is Comedy, qui bénéficie d’une mise en scène alerte, d’être un film prenant et réaliste sur la nature de la création cinématographique. Paradoxalement, c’est avec cet autoportrait que Breillat parvient à mettre de côté ses obsessions, à sortir d’une certaine complaisance par la drôlerie, et par une forme très particulière de distance (même si l’auto-dérision n’est pas pour aujourd’hui). Le tout dans un esprit d’expérimentation narrative et formelle, qui force le respect, car, sous nos latitudes, peu de metteurs en scène peuvent conjuguer autant d’audace et de fidélité à soi.