Il y a deux films dans Scarfies. Le premier est insupportable tant il sent à plein nez le teenage movie, avec ses personnages (des étudiants colocataires dans une bicoque abandonnée), son intrigue première (lesdits étudiants découvrent une véritable forêt de cannabis dans la cave du taudis), et sa mise en scène, paresseusement ostentatoire (accélération d’images, zooms nerveux, etc.). On se prépare ainsi, en tant que spectateur aguerri, à supporter un calvaire d’une heure trente, à soupirer devant un déluge conformiste d’images et de propos faussement rebelles.
Et puis, suite à un rebondissement scénaristique prévisible (le propriétaire de la maison se pointe, furieux de voir qu’entre-temps les sympathiques étudiants se sont fait du beurre avec son herbe), Scarfies prend une tournure beaucoup moins attendue et d’autant plus intéressante. Car les teenagers, ne sachant comment calmer la fureur du proprio lésé, décident de l’enfermer dans la cave, et de le garder là au chaud et au calme. S’installe alors une espèce de dispositif de comédie policière, où les ravisseurs de fortune paraissent bien balourds, empêtrés qu’ils sont dans leur amateurisme juvénile. Mais ça ne dure pas bien longtemps, et le film des frères Sarkies se transforme peu à peu, sans secousses ni rebondissements, en un objet réellement inquiétant. Les sympathiques colocataires vont effectivement, sous nos yeux riboulés d’effroi, se convertir petit à petit en d’authentiques tortionnaires, recréant au fin fond de la cave une véritable chaise électrique. Chaise électrique dont ils peuvent, grâce à un habile dispositif vidéo, observer à loisir les effets sur leur écran de télé, exactement comme s’ils regardaient un match de rugby.

Cette transformation subite d’étudiants en bourreaux effraie franchement, et ce, pour trois raisons. Tout d’abord, si l’on est habitué à voir au cinéma tout un panel de personnages d’apparence paisible se révéler être de véritables monstres (des frustrés de La Vie de Jésus aux policés, très british, jeunes gens de Funny games), on a rarement eu l’occasion, en revanche, d’observer cette conversion chez des « jeunes cool fun branchés qui fument le pétard et s’éclatent dans la vie », ce qui est le cas de nos délicieux protagonistes. Ensuite, ces macabres décisions ne sont pas le fait d’un leader psychopathe qui imposerait ses vues au groupe influençable, puisque les colocataires fonctionnent au vote, comme dans toute bonne démocratie qui se respecte : on grille, on tue, oui, mais à la majorité absolue ! Enfin, et c’est sans doute le plus intéressant, la mise en scène des Sarkies accompagne ce mortel transfert de façon totalement coulée, de manière presque naturelle : aux effets boursouflés du début, succède une certaine retenue, voire un apaisement… Les frères cinéastes prennent le temps de filmer cette terrifiante mutation, sans en rajouter à un seul instant (pas de montée musicale inquiétante, ou de contre-plongée pléonastique), ce qui ne manque pas d’étonner en regard de ce qu’on a pu voir plus tôt.

Au final, on se demande même si cette seconde partie n’a pas été conçue en réaction à la première et, par extension, à tous ces teen movies débiles, histoire de débusquer et d’exhiber la morale réactionnaire qui se terre derrière nombre de comédies calibrées ados.