Inutile de se creuser la tête, dans Rien sur Robert, il n’y a pas grand chose sur Robert, si ce n’est une brève allusion à Robert Desnos, poète qu’on réhabilite ces temps-ci. Il y a, en revanche, un chef d’accusation à l’encontre de Didier Temple (Fabrice Luchini, parfait) : un article assassin que l’homme a pondu sur un film… bosniaque… euh, non, serbe…, bref, qu’il a eu le tort de ne pas avoir vu. Plus ou moins à cause de ça, sa vie bascule dans un cauchemar, qu’à tout instant, les personnages qui gravitent autour de lui, profitant de la brèche ouverte par son propre sentiment de culpabilité, réveillent et alimentent. Sa copine Juliette (Sandrine Kiberlain, qui se tire à merveille d’un rôle casse-gueule), tout en affirmant l’aimer, le trompe allégrement, Chatwick-West (Piccoli, magistral) l’humilie en public, Jérôme Sauveur (Laurent Lucas) écrit mieux que lui, sa mère lui fait une crise de nerfs… Il n’y a guère qu’Aurélie (Valentina Cervi, au merveilleux charme latin), rencontrée par hasard chez Chatwick-West, pour l’aimer sans rémission.

Par le poids que leur accorde Bonitzer dans son scénario, les mots et le dialogue, comme source de conflits, espace de confrontation, mais peut-être aussi de réconciliation (comme les paroles d’Aurélie, souvent apaisantes), sont le moteur de l’action et la font rebondir à leur rythme. La surprise domine, car il faut bien comprendre que rien de mieux que les mots et leur écoulement n’offrent autant de chausse-trapes, de tromperie, et d’illusion. Didier, qui s’en croyait maître (écrire sur un film qu’on a pas vu, c’est, d’une certaine manière, croire en leur vérité) apprend à ses dépends que les mots, qui ont toujours une face cachée, font mal. Combien de fois demande-t-il à Juliette d’arrêter de parler, de ne pas en dire plus ? La maîtrise scénaristique qui découle de ce travail acharné sur le dialogue, ne fait pourtant pas, loin de là, de Rien sur Robert, un film de scénariste. Rien Sur Robert devrait faire taire les mauvaises langues qui n’auront vu dans le premier film de Pascal Bonitzer rien de plus qu’un premier scénario filmé. Sur la question de la cinématographie, le réalisateur a des leçons à donner. Il suffit de se pencher sur le découpage d’une scène comme celle du repas, scène maîtresse, dans laquelle Didier se fait proprement ramasser par son ancien professeur, pour dissiper tous les mal-entendus. La tension découle, certes, de la situation mais aussi et surtout de sa mise en scène : la série de champs contre-champs, d’un côté, qui isole Didier et accentue sa gêne et son humiliation, et de l’autre côté, rassemble derrière Chatwick-West une majorité silencieuse de convives, et pose l’un en face de l’autre, deux figures imposantes du cinéma français, Piccoli et Luchini, offre à ce conflit, une dimension mythique.

Il ne faut pas croire, on rit beaucoup dans Rien sur Robert. Il n’y a pas de doute, c’est une comédie. On rit beaucoup, mais il arrive fréquemment que ce rire bascule dans une dimension inconnue, toujours grâce aux dialogues mais aussi grâce aux univers multiples proposés, proche des films de Raoul Ruiz (dont Pascal Bonitzer est le scénariste des deux derniers films), voire même d’un fantastique à la Lynch. Pourtant, et c’est la principale qualité de son film, Bonitzer, loin de le refermer sur lui-même, d’en faire un objet clôt et parfait, l’ouvre entièrement au monde. Rien sur Robert est un film, sans aucun doute, grand public. Souhaitons-lui de le rencontrer.