Un Arabe, chauffeur de taxi à New York, ignore les réclamations de ses passagères, deux bourgeoises blanches. Il hausse le volume de la musique orientale puis passe aux messages radiophoniques du Hezbollah. Le plan est fixe. Le filmage en temps réel accentue la frontalité primitive et le racisme primaire. Au moment où ce type de comique, qui combine raréfaction et provocation à gros traits, donne la mesure de l’agressivité déployée, le film commence enfin.

Avant cette scène, Rien que pour vos cheveux ne trouve ni sa mise en scène ni son sujet, multipliant les effets spéciaux à vide. Et les plaisanteries, débiles (un poisson dans un slip, des crêtes fluo sur des têtes de caniches), ne le sont pas assez pour que la débilité soit couronnée par sa propre logique. En cela, le film est proche de Seuls two, où l’on désespère longtemps que les musiques s’arrêtent, qu’Eric et Ramzy soient réunis, que le film se pose enfin.

Le héros (Zohan) est un super soldat du Mossad, trop fort, trop doué, trop beau, trop bête – il n’a qu’une envie, devenir coiffeur à New York et faire dans le « silky and smoothy ». Les Arabes du film, eux, sont tous pauvres, attardés, moches, illettrés – et portés sur la fabrication de bombes. Le racisme est frontal et pourtant le film échappe à la stigmatisation, car les personnages sont à égalité : tous des crétins. Dotés de capacités si limitées, ils ne peuvent ainsi ni trahir leur sens ultra-concret et boutiquier du beau et du bien (les cheveux pour le héros juif, les chaussures pour son alter-ego palestinien), ni craindre le ridicule, de sorte que stigmatisation et innocence se rejoignent. C’est grâce à cette logique de la débilité qu’un film politiquement explosif obtient son laissez-passer – laissez-passer inhérent au burlesque par opposition à la satire (ne pas confondre gaz hilarant et vitriol).

Sur un territoire restreint et théâtralisé (un magasin), The Shop around the corner (Lubitsch) racontait une histoire d’amour sans se départir de la logique de boutiquier de ses protagonistes, au point que faire un geste d’amour, c’était placer une rose sur une chemise comme on arrange une vitrine. Dans une rue de Brooklyn où s’affrontent deux communautés (à chacune son trottoir), Rien que pour vos cheveux raconte un conflit entre Juifs et Arabes avec autant de logique, la crudité et la désinvolture en plus, marques obligées de la comédie américaine contemporaine, tout entière sous l’influence de Judd Apatow, qui a co-écrit le film. Rien que pour vos cheveux fait ainsi la part belle à la relâche de l’écriture, au laxisme rythmique et au non-style, et évidemment aux blagues bien grasses sur le papier qui deviennent joyeusement candides à l’écran. Mais la bonne bouillie Apatow, mélange d’apparences provocantes, de chronique flottante et de bonenfantisme sous-jacent, nourrit cette fois vraiment son bonhomme de spectateur grâce à l’ambition du sujet (le conflit israélo-palestinien) et à l’agressivité de son traitement (la logique de la débilité).

Eric et Ramzy, les seuls acteurs-réalisateurs français à avoir assimilé le burlesque américain contemporain, parvenaient de leur côté à raconter dans Seuls two l’histoire du gendarme et du voleur, ou de Bib-Bip et du Coyote, ou du Français et de l’Immigré, ou du Noir et de l’Arabe, que tout sépare et que tout va rapprocher, parce qu’ils parvenaient eux aussi à convertir une aberration initiale (eux deux seuls Parisiens dans Paris) en fable.