D’un képi l’autre : postier hilare à bicyclette dans les Ch’tis, Dany Boon revient régler la circulation du public français derrière l’austère moustache d’un officier des douanes. Quoi de neuf sous la casquette ? A priori pas grand chose : un film dans l’ensemble plutôt moins bon, autant dire assez nul. Sur le terrain promotionnel en revanche – et c’est bien le seul qui intéresse, au moins à titre de symptôme -, c’est pour Boon un défi de taille. Parce qu’organiser le remake du succès des Ch’tis implique d’en reconduire le mythe : en gros, celui d’un film du terroir, destiné presque par accident à inonder les salles du pays entier. Illusion difficile à tenir, vu la force de frappe commerciale vertigineuse du film, programmé dans près d’un millier de salles.

Que Boon néanmoins s’échine à rejouer au détail près la fiction promotionnelle qui avait servi à vendre les Ch’tis (la sortie anticipée dans le Nord – et ici en Belgique -, la promo au porte à porte, à la bonne franquette) éclaire en tout cas assez nettement l’idéologie qui accompagne, depuis quelques années, le rire industriel français. Les rôles que Boon se réserve dans les deux films en sont un autre symptôme, plutôt éloquent. Du postier au douanier, c’est le même costume de médiateur, et c’est le même fantasme qu’on part chercher sur la route : la réconciliation du pays, sous la tonnelle du rire national. Ce mythe, s’il n’est pas neuf, s’est trouvé avec Les Ch’tis un argument imparable. Pas sûr que le film aurait suscité un pareil enthousiasme si son portrait mignon des classes populaires n’avait été soutenu par ce gage : Boon, ch’ti lui-même, donc fondé plus qu’un autre à descendre explorer la France d’en bas. Toutes les grosses comédies populaires récentes, de Camping aux Petits mouchoirs, ont été vendues sous la double bannière de l’authenticité et de la sincérité. Atroce idéologie du rire vrai (comme il y a un parler vrai pour emblématiser un autre populisme, d’Etat celui-là), et fiction commune à tous ces films, qui consiste à entretenir l’illusion de tranches de rires prélevées à même la vie de leurs auteurs (la bande-de-copains de Canet, la passion authentique de Dubosc pour le camping, la norditude de Boon) pour les déposer par pure générosité dans l’assiette du spectateur.

Joli tour de passe-passe, qui camoufle sous le masque de la légitimité le calcul dont ces films sont intégralement faits. Ce calcul est simple, c’est celui d’une fraternisation dans le miroir de l’identité nationale et du « pays réel » (des ch’tis à l’ostréiculteur philosophe des Petits mouchoirs) : avec la comédie française, c’est la France, en direct des régions, qui parle aux Français, venus dans les salles se faire tirer le portrait. Et d’un film à l’autre, sans surprise, la morale est la même, qui fait de la francitude le nécessaire et douillet refuge où s’abstraire des turpitudes de l’époque. Difficile de faire plus limpide, de ce point de vue, que le pitch de Rien à déclarer : en 1993, une poignée de douaniers de la frontière franco-belge rumine sa mélancolie depuis l’annonce, accords de Schengen oblige, que l’Europe va les obliger à déserter leurs guérites. L’argument du face à face France / Belgique (le racisme du douanier belge joué par Poelvoorde est mis à l’épreuve au moment de collaborer, sur la route, avec son homologue français) ne déplace qu’illusoirement la question. Avec le duo Boon / Poelvoorde, le film rejoue le portrait bicéphale du Français moyen (benêt et bonne pâte d’un côté ; mesquin, veule et raciste de l’autre) qui domine le genre depuis l’étalon La Grande vadrouille et dont s’inspirait déjà Les Ch’tis. La conclusion, franchement atroce, du film (enfin lavé de son racisme anti-français, Poelvoorde décharge sa frustration sur un Chinois qui passe au fond du plan, sous le regard mi-réprobateur mi-attendri de son fiston) situe bien l’horizon de tolérance dont Boon fait son argument de campagne. Horizon du bout de la table, quelque part entre les frites et le gratin de chicons, dans l’entre-soi d’un éternel Français dont les petits travers (sa xénophobie, pas bien grave) ne sont rien face au réconfort inestimable d’un bon plat mijoté à la maison, partagé dans un sourire sincère et authentique. Des Ch’tis aux Petits mouchoirs à Rien à déclarer, la comédie française touille ses nouvelles recettes sans changer de marmite. Pas étonnant que tous ces films aient le même goût : au fond de cette marmite plus toute jeune, il y a un vieux fond de soupe aux choux.