Trois stylos dont un Bic 4 couleurs, ça fait beaucoup pour une seule poche. Et on ne voit que ça sur la blouse de l’infirmier Thomas Remige: cette poche baillant sous le poids d’un zèle qui est celui moins du personnage que de l’accessoiriste du film. Ainsi orienté, le regard du spectateur est au moins assuré de ne pas louper l’essentiel: le badge de l’infirmier, où s’expose un nom très lisible, Thomas REMIGE, comme un autre s’étale tout aussi voyant sur le badge du Dr Pierre REVOL, fiché lui aussi comme professionnel de la santé mais surtout comme personnage de roman, puisque du best-seller de Maylis de Kerangal à ce film dont il est l’adaptation, les deux noms sont inchangés et qu’à l’évidence, Katell Quillévéré tenait à ce que ce soit vu.

La première demie-heure du film condense – c’est le mot – le premier temps du roman, inauguré par la mort brutale d’un adolescent, sur la route, au retour d’une session de surf, et continué dans le service de réanimation où REMIGE, REVOL et quelques autres s’activent autour de la dépouille et des parents, dévastés. Elle peut se résumer à ce badge, qui parle pour une approche plutôt limitée de l’adaptation. C’est d’ailleurs moins une adaptation qu’une reconstitution, façon diorama ou parc à thème. Etait-il bien utile de laisser au cou du personnage de l’infirmière un suçon qui, dans le roman, ouvrait au personnage plusieurs pages de romance triste, si c’était pour ne garder de cette romance qu’une poignée de plans de l’infirmière soupirant par dessus son smartphone (l’infirmière, elle, a changé de nom mais elle aussi a droit à son petit badge de personnage de roman: c’est le suçon) ? Ou de faire dire soudain à Kool Shen, qui pleurniche de son mieux dans le rôle du père en suivant la maigre partition qu’on lui donne: « Tout ça c’est d’ma faute, le surf c’est moi qui lui ai mis dans la tête » ? – la réplique sort littéralement de nulle part, et le pauvre donne l’impression d’avoir sauté trois pages dans sa copie du script.

Il y avait, de fait, une gageure à vouloir tirer un film de ce roman, qui ne doit sa réussite qu’à la langue qu’il parle et très peu en vérité à ses personnages, guère intéressants, ni à son thème seul. Le récit est celui d’une greffe : un coeur qui migre du jeune surfeur vers une receveuse lointaine. Mais la greffe est aussi le mode opératoire et la musique du livre, qui progresse par petites sutures, d’un personnage à l’autre, d’une situation à la suivante, reliés tous par la musique d’une écriture à la fois hoqueteuse et ronde (des phrases longues et sinusoïdales, parfois au bord de la complaisance), qui fait l’effet de vouloir coudre toute la matière de l’histoire avec un seul fil. Autant dire qu’on perd quelques degrés de finesse quand, pour faire le portrait de l’adolescent, Quillévéré choisit d’en passer par un flash back lui-même introduit par un plan de la mère éplorée, et de puiser pour le flash back dans la malle à clichés du cinéma français mollasson (jeunesse = skateboard + ralentis + cheveux blonds brossés par une lumière de fin d’après-midi). C’est un peu brutal pour le livre, que de gagner l’écran pour y finir comme un spot trop long de la prévention routière.

Il est donc pour le moins étonnant que le film, passé cette première partie abominable, finisse tout de même par produire une relative émotion. Il lui aura fallu pour ça faire le saut de l’ange au-dessus du pli qui le fait basculer, sans préavis, de l’histoire du donneur à celle de la receveuse. Le livre, de suture en suture, glissait insensiblement de l’un à l’autre, sans trahir l’impression de brosser un portrait presque cosmologique de sa petite galerie de personnages. En figurant de manière beaucoup plus nette le gouffre qui sépare les deux corps, en soulignant l’arbitraire contenu dans le miracle médical (du donneur vers la receveuse, aucun lien sinon le trajet matériel du coeur, et aucune information transmise sinon le sexe du donneur), le film ici s’approprie effectivement le livre, dont il simplifie judicieusement la trame. Et ce qui frappe, c’est que cet arbitraire est comme une libération: passée du côté de la receveuse, le film se pose enfin, regarde un peu ses personnages – et finit en retour de donner l’impression que la première partie était bâclée parce qu’elle n’intéressait tout bonnement pas Quillévéré. C’est aussi que, une fois passé le gouffre, le film trouve une actrice capable à elle seule de faire vivre le moindre plan, en dépit d’une mise en scène qui reste excessivement sage: dans le rôle de la receveuse qu’elle joue souffle court, Anne Dorval est admirable. Le dernier plan (après l’opération que Quillévéré choisit de filmer longuement, avec une patience et une attention bienvenues), ce dernier plan lui est entièrement dédié, il est très beau et vient consacrer le double miracle d’un corps réparé après avoir, lui-même, réparé le film de l’intérieur.

2 COMMENTAIRES

  1. Franchement, chronique d’une rare mauvaise foi…Reprocher à une adaptation de conserver le nom des personnages romanesques? De condenser en un film concis et efficace, nécessairement moins façonnant (c’est un film d’1h40!), mais vous l’admettez vous-même du bout de la plume également émouvant, une intrigue chorale? Du contrepied facile au consensus critique honnêtement (et pour une fois) justifié.

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