De tous les récents adeptes, plus ou moins convaincants, de la mini DV, Alain Cavalier est sans doute celui pour qui ce changement de format (et de manière de voir) est le plus vital. Il y a chez ce cinéaste insoumis et singulier la menace toujours présente d’un effondrement et d’une obscurité définitive. Au cours d’une trajectoire longue de quarante ans, Cavalier a plusieurs frôlé le gouffre, quand il déclarait, après l’interruption consécutive à La Chamade (1968), qu’il ne savait plus « qui ou quoi filmer », quand il réalise Ce répondeur ne prend pas de messages en 1978, hanté par la pulsion d’un dénuement terminal (une pièce vide, une chaise, et un homme qui évoque, se souvient), ou bien quand il entreprend Libera me (1993), une oeuvre au silence accusateur, dont le mutisme devient quasiment un bruit parmi d’autres, parmi la stridence des sons de couteaux, de viandes découpées. Mais toujours Cavalier repart, et la vie avec, qui revient en insistant : Le Plein de super (1976), tourné après huit années de silence, ou La Rencontre (1996, en vidéo, déjà), lettre d’amour chuchotée. A chaque fois, c’est comme un retour aux choses mêmes qui le sauve. Le cinéaste a fait le vide autour de lui et en lui, et la DV, cet oeil minuscule qui tient dans la main, semble être le sésame de ce vaste projet : en revenir au fait humain. De cela, son précédent film, le très beau Vies, en témoignait avec douceur. Ce portrait polyphonique (un chirurgien, un sculpteur, un boucher, une ancienne collaboratrice de Welles), rempli de faits et gestes humains mais toujours hanté par l’absence, plongeait dans le particulier comme dans une source intarissable d’étonnement.

Le cinéma pelliculaire étant désormais (et sans doute définitivement) loin derrière lui, Cavalier semble poursuivre avec René cet archivage non mortifère de vies. Le film démarre presque sur un argument de comédie : René, un quadragénaire jovial au format XXL et au faux air de Coluche, décide de maigrir. Sa compagne vient de le quitter, il s’enfile un dernier plateau de fromage avant d’attaquer le jambon-salade. Cavalier le suit dans ses tournées (il joue un spectacle pour enfants), avec ses amis, chez son diététicien, chez son ex-femme. Ce qui est en jeu, dans René, n’est toutefois pas la poursuite du travail commencé avec Vies, mais un trouble lié au générique du film : d’une certaine manière, René n’existe pas, il est incarné par un homme (Joël Lefrançois) dont on sait qu’il est comédien. Et pourtant, s’il est évident que les situations filmées sont programmées à l’avance, reste que la « mise en scène » se contente de suivre ces corps d’acteurs qui ne jouent pas, mais simplement continuent à exister. Entre l’enregistrement brut d’une réalité et le cinéma de fiction, entre le corps du comédien et celui de René, se glisse un réseau de faux-semblants où tout est identique mais infiniment différent. Le dispositif est habile, presque roublard, mais pas vraiment aimable et sans émotion. L’impression de voir un épisode de Strip-tease maquillé l’emporte finalement, et l’on mesure combien Vies, et avec lui la vie, était un film précieux.