Retour d’une tarte à la crème sundancienne décidément impérissable : la chronique du désenchantement en zone pavillonnaire sur fond de crise conjugale. Sans craindre le déjà-vu, Rabbit hole se choisit pour centre nerveux un couple de pimpants quadras accablés par la perte de leur jeune fils unique ; le deuil en moins, le gentil ménage a tout pour plaire – bons jobs et morale irréprochable, bonne conduite confinant à la pudibonderie. Jusqu’au jour où la douleur les pousse vers les terrains inconnus que sont la fumette en douce pour lui, et pour elle, une curiosité un peu mortifère à l’égard de l’adolescent qui a involontairement tué son garçonnet. L’argument pourrait donc se résumer ainsi : voyons voir comment la tragédie décapsule les désirs enfouis de M. et Mme Tout-le-monde, et permet (ou non) d’ouvrir une brèche vers l’univers des fantasmes.

Pour traiter la question, John Cameron Mitchell, à l’origine d’autres visions sociales plus légères (Shortbus) ou plus franchement torturées (il a produit le Tarnation de Jonathan Caouette) opte pour une obséquiosité pâteuse déguisée en sobriété. Sans doute persuadé que la polysémie du titre – le terrier d’Alice au pays des merveilles ne débouche que sur un clapier à cadres grisou, en somme un trou à rats – amène une idée porteuse suffisamment forte, le film cultive un lissage de chaque détail, arrondissant les angles systématiquement, probablement pour ne pas tuer le potentiel glamour de ses têtes d’affiche. Difficile de compatir lorsque les rares occasions de voir les moeurs dérailler sont étouffées par un repli pudique, sous prétexte d’ancrer les personnages dans une prétendue quotidienneté naturaliste, qui verrait toujours le surmoi l’emporter sur les passions destructrices. D’où des dérapages en demi-teinte : lors d’une thérapie de groupe pour parents endeuillés, Kidman se lance dans un tempétueux laïus athée et, Eckhart, défoncé, ricane aux malheurs d’un autre père ; hélas, les débordements, toujours très polis, ne font que résumer platement l’impression générale, acquise dès l’implantation du décor.

Mais le plus problématique provient sans doute du décalage entraîné par les choix de casting. Aaron Eckhart, jouant de sa mâchoire carrée de jeune papa bien sous tous rapports, en fait des tonnes et s’enlise dans le mélo, tandis que Kidman, passée par des rôles beaucoup plus creusés, peine à se fondre dans ce petit personnage transparent. Malgré sa maîtrise habituelle, on a bien du mal à saisir les enjeux psychiques de sa quête ésotérique, inspirée par le jeune homme traqué comme le lapin d’Alice, qui finira par lui transmettre sa passion pour les univers parallèles – métaphore paresseuse en plus d’être laborieusement martelée. Rien à faire, le couple central patauge dans des automatismes de téléfilm, dont l’interminable déploiement donne l’impression de tomber durant une heure et demie à l’intérieur d’un trou sans fond.