Quills appartient à cette longue tradition (américaine et française, au moins) des films historiques, centrés sur un personnage illustre, avec ses sempiternelles caractéristiques : acteurs de renom venant se frotter à une matière « culturelle », image et dialogues léchés, reconstitution soignée, dossier de presse magnifique, etc. Ici, le personnage en question n’est rien moins que le marquis de Sade (Geoffrey Rush, un peu too much), enfermé pendant les dix dernières années de sa vie à l’hospice de Charenton, spécialisé dans les maladies mentales… « Enfermé » ? Pas tout à fait tant le marquis jouit là d’avantages exceptionnels (une grande chambre où il peut écrire en toute liberté, une belle bibliothèque bien fournie, entre autres), concédés par le maître des lieux, le jeune et progressiste abbé Coulmier (Joaquin Phoenix). Tout ça n’est pas du goût de Napoléon qui envoie dans les plates-bandes de l’abbé le Dr Royer-Collard (Michael Caine, good as usual), beaucoup plus austère, beaucoup plus sévère surtout, avec ses méthodes d’inquisiteur.

Voilà pour l’intrigue, qui verra évidemment se confronter la foi et la science, le vice et la vertu, l’amour et la sexualité, la morale et la liberté de façon tour à tour pesante (les dialogues entre l’abbé et Sade, lourdement significatifs, remportent la palme) et adroite (la relation entre l’abbé et la lingère Madeleine/Kate Winslet). Longtemps donc, Quills est sans surprise, attendu, entre modernité et naphtaline. Une oeuvre lisse, carrée (belle lumière, bons acteurs -notamment Joaquin Phoenix et Kate Winslet-, jolie musique), efficace. De cette efficacité culturelle américaine qu’on est en droit de trouver insupportable, tant elle place le sens et le sujet au-dessus du cinéma, mais une efficacité froide, et finalement assez vaine.

Fort heureusement pour lui et pour nous, Philip Kaufman se souvient qu’il a été un bon cinéaste (voir notamment L’Etoffe des héros), et distille ici ou là quelques bonnes idées de mise en scène qui en disent souvent plus long que les discours émaillant son film. Ainsi de cette séquence où, empruntant au célèbre dispositif du « téléphone arabe », Sade, privé de plume et de papier, dicte un récit à Madeleine en passant par de nombreux intermédiaires, tous pensionnaires de l’asile… Beau moment illustrant à merveille la contagion « sadienne » dans Charenton, et surtout l’appropriation par chacun d’un texte, de mots, d’idées. A ce moment-là, on entrevoit ce qu’aurait pu être ce film si Kaufman avait oublié les lourdeurs imposées du genre historico-culturel pour se laisser aller, au fil de sa caméra, au fil de ses comédiens… Un peu plus de liberté et un peu plus de cinéma n’auraient sans doute pas fait de mal à la mémoire du marquis de Sade.