Après l’âpre Rosine, Christine Carrière nous revient avec une fiction plus joyeuse, bien que mâtinée d’une douce amertume. A la suite de la mort de leur mère, deux petites filles se consacrent à leur papa (Jean-Pierre Darroussin), inconsolable et dépressif. Un paternel farfelu, original et malheureux mais surtout amoureux transi de ses enfants, jusqu’à refuser, plus tard, que ses filles partagent leur vie avec un autre être que lui. Autour de cette micro-famille suivie sur une quinzaine d’années pendant lesquelles elle peine à atteindre l’harmonie, gravitent quelques autres personnages notables, dont une grand-mère incapable d’exprimer son affection et une prostituée quinquagénaire officiant à l’arrière d’un camping-car.

Comme son titre l’indique, Qui plume la lune ? est une œuvre peuplée de comptines, de chansons enfantines et autres vieux tubes (sans compter les beaux et nombreux morceaux de Yann Tiersen) constamment fredonnés, répétés et éprouvés : un ensemble musical qui donne au film son unité la plus évidente. Cette légèreté revendiquée et singulière offre à Qui plume la lune ? ses meilleurs moments, avec notamment un final en écho à la première scène et où, sans rien dévoiler de l’intrigue, l’on fait danser les suicidés afin qu’ils demeurent conscients et oublient de mourir. D’autres instants encore : une mariée trébuchant dans la neige, la grand-mère qui chasse sa famille de chez elle afin de profiter de son amant, le père tentant de mettre fin à ses jours en faisant le guignol, peint en rouge, devant une vache immobile. Christine Carrière aime autant ses personnages que ses acteurs (qui le lui rendent bien : Jean-Pierre Darroussin et Garance Clavel n’ont jamais été aussi bons), et son film s’en ressent. Même au cœur des séquences les plus dures, la cinéaste insuffle à ses créatures non seulement une dignité, mais un art de vivre. Comment devenir plus fort que sa misérable destinée ? Par le mouvement : bouger sans cesse, partout, et avec ceux qu’on aime. C’est ce qu’on appelle, d’ordinaire, l’énergie du désespoir, mais rarement celle-ci aura été filmée de manière aussi vivace.