Le nouveau film de Denis Côté commence très bien, et il commence deux fois. Une première fois, par le truchement de la fiction et du théâtre : un monologue est débité en gros plan par une étrange ouvrière, laquelle apostrophe le spectateur et l’invite à se soumettre aux lois de la machine, en une imprécation presque érotique. Une seconde fois, par le biais du documentaire et de l’opéra : une sidérante symphonie de roues et de vérins est orchestrée par la magie du montage et du mixage, grande respiration du travail en usine au son de laquelle se joue la relation entre l’homme, la machine et la matière.

Le programme est donc relativement clair : il s’agit de faire de l’usine un organisme en activité perpétuelle, mais dont la structure fonctionnelle et machinale n’empêche jamais l’éclosion du désir. Mêlant observation passive et parole théâtralisée, Que ta joie demeure tente ainsi une approche sensualiste de la condition ouvrière. L’humain y est bien évidemment soumis à son outil ; et il lui revient toujours de s’adapter à son rythme implacable, à la monotonie de son humeur et au totalitarisme de sa fonction. Mais malgré cela, il suffit à Côté de tendre un peu l’oreille, de laisser tourner sa caméra sur un petit temps de pause où deux ouvriers se grillent une cigarette, pour entendre l’un d’entre eux se satisfaire de sa compatibilité avec une machine particulièrement rapide, comme on se satisferait d’une partenaire sexuelle coriace.

Si le Québecquois est friand de ce genre de petits films-laboratoires, shootés en quatrième vitesse entre deux projets plus traditionnels, c’est que ceux-ci le poussent à devoir ajuster sans préparatifs son regard à un sujet qui lui est complètement étranger (l’animal dans Bestiaire, le travail ouvrier ici). Une manière de soumettre ses intuitions de cinéaste à un lieu chargé de discours et d’idéologie, d’y expérimenter trois ou quatre idées de mise en scène sans jamais les articuler en récit. C’était du reste toute la beauté du dispositif à la fois frontal et décalé de Bestiaire : sa réussite mystérieuse tenait de la contingence absurde et poétique du comportement animal, avec lequel Côté dialoguait secrètement, presque dans le dos du film.

Dommage ici qu’au bout de trente minutes, on ait le sentiment que son projet rate une marche, qu’il s’est égaré et ne réussira jamais à se trouver complètement. Ce n’est pas le parti pris du cinéaste qui est en cause, ni ses talents de styliste : loin des poncifs militants, Que ta joie demeure formule en effet des hypothèses atypiques sur le travail, et Denis Côté reste un observateur hors pair, pointilleux comme un orfèvre et malicieux comme un enfant. Cependant, à vouloir abattre comme si de rien n’était les cloisons entre fiction et documentaire, le film tend à en caricaturer chacune des propriétés. Pas vraiment à la hauteur de ses belles promesses introductives, il n’arrive que très ponctuellement à décoller de son programme de petit essai expérimental pour festival. Vu le pedigree du bonhomme, on attendait un poil plus.