Sur la (vaste) cartographie du docu-fiction, Putty hill parait bien modeste, mais n’en signale pas moins un talent à surveiller. Autour de l’enterrement, imaginaire, d’un jeune toxico, Putty hill filme les proches, scrute les retombées de la tragédie sur le quotidien. Par son astuce scénaristique de documenteur, Porterfield vise tout autant le portrait générationnel que l’essai autobiographique crypté, chaque personnage représentant un pan détourné de la vie du cinéaste. La réussite du film ne tient pas vraiment dans ce plaisir d’esbroufe ni dans son camouflage réaliste en milieu white-trash. Efficace et trompeuse (prestation impeccable de « banalité » de ses acteurs), l’artifice n’échappe pas, à la longue, aux limites de l’exercice : en bon élève de Robert Kramer qu’il est, Porterfield médite, parfois trop ostensiblement, sur la croyance aveugle au réel et notre naïveté à avaler ses chimères les plus grossières.

Ainsi, Putty hill peut rebuter par son contemplatif calibré pour festivals, sa préciosité arty quand il filme un quotidien éthéré et trempé dans la fatalité, où le temps ne semble plus avoir aucune prise sur l’image. Mais, il sait aussi se montrer admirable de retenue, jouant parfaitement des possibilités de l’imaginaire et du hors-champ. Il faut attendre quelques scènes plus anodines pour voir enfin l’émotion dérider ces lourds blocs de stase. L’intérêt du film, au-delà de l’anthropologie, se tient finalement du côté de la topographie. Putty hill se déroule à Baltimore, ville souvent écartée des mythes américains, dont les quartiers-dortoirs semblent figurer idéalement la platitude écrasante du quotidien. The Wire, immense série-fleuve, avait déjà livré avec Baltimore un des plus grands portraits de l’urbanité contemporaine. A l’instar de la série de Simon & Burns, mais selon une logique plus intimiste, Putty hill fait de chacun de ses décors un réservoir d’histoires en suspens. Derrière la trivialité d’un karaoké post-funérailles, d’une séance de fumette entre potes au milieu des cités, de toutes ces saynètes plombées par l’ennui des personnages, sourd un profond potentiel romanesque, dont l’écho est admirablement esquissé en quelques plans fixes. Rares sont les films qui, par la seule épaisseur, toute balzacienne, de leur décor, peuvent aujourd’hui dessiner, avec un tel talent pour la suggestion, l’ébauche subtile d’une désillusion collective et générationnelle.