Mais que font les distributeurs français ? Alors que dorment sur les étagères des producteurs espagnols quelques beaux films ambitieux et originaux (Tierra de Julio Medem et Pasajes de Daniel Calparsoro, pour n’en citer que deux), voilà qu’on nous inflige ce Putain de rue !, racoleur au possible.

Juan, un chômeur de 42 ans, quitte son village pour Madrid, dans l’espoir d’y trouver un travail décent qui lui permettrait de faire un peu mieux vivre sa femme et ses enfants. Mais ses illusions s’évanouissent bien vite : refus après refus, Juan finit par se retrouver à la rue, avant de sympathiser avec Andry, un immigré cubain qui l’aide à refaire surface.
A travers ce récit engagé, on devine les intentions, louables au demeurant, d’Enrique Gabriel : brasser des sujets d’actualité (le chômage et l’immigration en premier lieu) pour aboutir à une sorte de radiographie de l’Espagne contemporaine tout en dénonçant ses injustices et la misère qu’elles engendrent.

Malheureusement, Putain de rue ! frôle l’insignifiance à tous les niveaux. Ainsi, le tandem des personnages antagonistes unis pour affronter le pire est non seulement usé jusqu’à la corde, mais est, de plus, traité ici avec une lourdeur démagogique rare (par exemple le macho fruste, chauvin et xénophobe, qui peu à peu, s’ouvre à la compréhension et l’acceptation de l’autre, de l’étranger, jusqu’à se révolter contre les mesures d’expulsion appliquées par la justice).
Les dialogues ne sont pas, eux non plus, d’une grande finesse, comme en témoigne le dossier de presse qui reproduit de bons mots du film censés faire mouche auprès des spectateurs (« Pourquoi il y a des gens qui vivent dans la merde et qui sentent toujours bon ? », « C’est que ça doit être de la merde de luxe, mon pote ! »)

La mise en scène, quant à elle, est inexistante et va même jusqu’à créer un climat d’ambiguïté assez malsain dans son entrain misérabiliste et quasi-voyeuriste (légers zooms sur les strip-teaseuses effectuant leur numéro, traitement complaisant du personnage de la toxicomane). Bref, le spectateur est vite écœuré par cette alternance bâtarde et faux derche entre réalisme social, amitié « transculturelle » (dixit le réalisateur) politiquement correcte, paternalisme pesant (la tolérance c’est bien, la drogue beaucoup moins déjà) et pittoresque artificiel.

Mais le pire reste à venir : en voyant la façon dont le réalisateur se débarrasse d’Andy, expulsé d’Espagne et rapatrié à Cuba, tout en dédramatisant l’action (la nourrice noire rassure Juan par ces paroles : « Ne t’inquiète pas pour lui, il a plein de cousins là-bas »), on se dit que Putain de rue ! mérite au moins son titre : c’est l’un des films les plus putassiers vus depuis longtemps sur un écran. En tout cas, Juan pourra rentrer dans son village la conscience tranquille : finalement, Andy est sûrement plus à sa place dans son pays…