Depuis l’annonce, en 2009, que Ridley Scott relèverait Alien de ses cendres, l’imagination a eu le temps de travailler, et l’enthousiasme de grandir. On ne s’est jamais totalement défait du sentiment qu’Alien et Blade runner, exceptions grandioses dans un laborieux parcours de trente-cinq ans, semblaient avoir visité leur auteur plutôt qu’en être vraiment le produit. Mais dans le parcours d’un cinéaste, qu’Alien puisse apparaître une fois, disparaître trente ans et puis revenir d’un coup, que le trait de génie puisse avoir ce genre d’intermittences énormes, l’hypothèse était trop belle pour ne pas se monter un tout petit peu la tête. Prometheus repose d’ailleurs sur un dialogue noué de près avec l’imaginaire de son public (dès le début acquis), déployant un incroyable plan marketing – film de teasing et d’échos, depuis les annonces contradictoires (d’abord un prequel d’Alien, puis non, puis peut-être) jusqu’à ce que l’œuvre deviendra, au bout du compte : des réponses appelant d’autres questions, des mystères cachant des mystères, chassé-croisé permanent entre l’offre et la demande.

On ne sera dès lors pas étonné d’apprendre que Prometheus est à la fois remake, prequel et exégèse d’Alien ; qu’un relais permanent se fait entre ces différentes natures ; que se met en place très vite un jeu (plus ou moins réussi) de ressemblances et de dissemblances avec le film d’origine. Le pitch : quelques scientifiques, persuadés de pouvoir enfin découvrir les origines de l’humanité, partent en expédition sur une planète lointaine. Cryogénisations, androïde chafouin, atterrissage, sorties en scaphandre, mauvaises rencontres, dissection en labo, nous sommes en terrain connu. Pour autant, Prometheus délaisse l’épure esthétique et narrative d’Alien, prend sa lenteur spectrale à rebours, se révèle très vite un film d’icônes, de symboles, de schémas, palimpsestes, interfaces et renvois incessants, avec découpage ad hoc (strictement explicatif et sans la moindre créativité). Par son côté très bavard, mais aussi par son chichi narratif, sa paresse référentielle (2001 et Mission to Mars sont platement pompés) et son absence d’originalité, on aurait tendance à vite baisser les bras.

Pourtant, de long en long, l’affaire se tient. D’abord dans la façon, assez humble, dont Scott aborde la mythologie Alien, ne l’approchant qu’à petits coups de pinceaux d’archéologue (à ce titre d’ailleurs, et assez curieusement, le film n’hésite pas à puiser dans l’exposition assez réussie d’Alien vs Predator premier du nom). Ensuite, et les deux sont liés, dans la lente et minutieuse approche du fameux style créé par H.R. Giger en 79, dont le film propose une suite de variations, d’abord assez lointaines, puis de plus en plus ressemblantes. Sur la planète, à l’arrivée de l’équipage, les masses rocheuses sont impossibles à distinguer à l’oeil nu des constructions fabriquées par les autochtones – Prometheus insistant d’abord sur toutes les architectures naturelles, nuages, roches, montagnes, assez sublimes, pour une judicieuse mise à plat du décor. L’Alien (dont le souvenir ou la prescience hante en permanence le hors-champ) ne fut pas seulement un monstre, c’était aussi un bâtisseur de murs (par sécrétion de résine, où étaient capturées ses proies), tout autant que la prolongation vivante des décors cauchemardesques qui l’entouraient – ou encore, tout simplement, un masque (facehugger). Partant donc de la roche dure pour semer, au fil des scènes, toutes sortes de motifs du film de 79 – jusqu’à finir par ressusciter des pans entiers de décors – Prometheus, de façon émouvante, s’échine à reconstituer une esthétique pièce par pièce (c’est-à-dire, en somme, à remodeler la créature). Le film peut donc se lire comme une assez passionnante quête de lignes, de textures, de contours, dont l’aboutissement ultime serait cette carcasse noire dégoulinante, fourrée à l’acide, qu’admirait jadis Ian Holm pour sa « pureté ». En ayant su créer un suspense sur la forme, Scott aura finalement à peu près gagné son pari.