A priori, Precious a tout pour nous déplaire : pluggé sur l’imaginaire empesé d’un certain ciné indie se contentant de prendre le contre-pied d’Hollywood, le film de Lee Daniels est ce qu’on appelle avec une certaine horreur une bête de concours. Le rythme de la chronique en faux-plats autant que le recours à toute une batterie d’arguments ineptes (« attention vrais gens ») valent pour ce qu’ils sont : une entreprise de séduction à peu de frais sur le dos de ce que certains pensent encore devoir être un certain cinéma US. Le pitch pourrait être une variation bis d’un drame social à la Ken Loach : dans un ghetto de Harlem, Precious, une jeune obèse, a deux enfants de son père addict au crack et se fait tabasser par sa mère alcoolique (la comique Mo’Nique dans un rôle de composition in the mood for Oscars). Dans une école pour cassos, elle découvre que le monde peut aussi être un univers merveilleux où Mariah Carey et Lenny Kravitz travaillent chez Prisunic ou dans le bureau ANPE à côté de chez vous.

Miraculeusement, sous les volontés de bon élève bien-pensant (« un monde où toutes les filles peuvent devenir belles, fortes, indépendantes » martèle le dossier de presse) se dissimule un vrai conte cruel dans lequel Precious, mine renfrognée et taille d’outre-mangeuse, trimballée comme une bête de foire d’un bout à l’autre du film, révèle une sorte d’entêtement buté à résister coûte que coûte à ce marathon au pays de la misère humaine. Si bien que tous les forçages semblent permis : on songe par instants à un mix entre Rosetta et quelques grands films masos de ces dernières années (My Magic, The Wrestler), le film entier prenant la forme d’une lutte homérique entre le pire du pire de ce qui peut vous arriver (un mélo outré et crapoteux à la Hector Malot) et ce beau personnage traversant tout sans jamais ployer, d’une neutralité presque surnaturelle (Precious qui manque de se faire tuer par sa mère et reste opaque et silencieuse comme un bloc de pierre).

Le personnage a un côté super-héros en formation, bloc de lente étrangeté qui, lors de la seconde moitié du film, semble arrêter temps et narration dans son sillage. Ce sont les plus belles séquences, marquée par une suspension générale plutôt inattendue : recueillie chez sa prof, ne se départissant jamais de cette douceur un peu inatteignable, soulevant une sorte d’admiration sourde et retenue, Precious n’est plus qu’une sorte de présence abandonnée au récit, délaissant tout principe d’efficacité dramatique. Mélo archaïque ? Cette manière de placer dans le personnage tout le recul et toute la distance que le film, par ailleurs, ne parvient jamais à trouver est en tout cas un excellent moyen pour le cinéaste de s’en tirer : mais ce lyrisme à l’aveugle, en angle mort, donne aussi à sa créature – Precious – les moyens de régner sans partage sur sa petite entreprise à récolter les Oscars.