Le premier long métrage de Marina Déak, dont elle interprète par ailleurs le personnage principal, a pour qualité notable de ne pas fuir son identité : celle d’un film naturaliste « à la française », accompagnant un personnage de trentenaire dans ses errements sentimentaux, familiaux, professionnels… Audrey s’offre comme une figure familière, pas tellement neuve dans le paysage cinématographique français, et qui pourtant – et c’est là que Poursuite tire au final son épingle du jeu – se démarque par une constante dé-dramatisation des petites histoires de son quotidien. Mère d’un garçon de sept ans vivant la majeure partie du temps chez sa propre mère, divorcée, fréquentant depuis peu un informaticien, la jeune femme pourrait au départ se résumer à la somme de ses caractéristiques. L’intelligence de la cinéaste-actrice sera précisément de ne tirer de ces éléments aucune véritable ligne dramaturgique : Poursuite est moins mû par une histoire prioritaire glissant au fil des scènes vers sa résolution que par l’enchevêtrement de plusieurs infra fictions indépendantes.

Ainsi, si Audrey demeure tout du long la même fille, définissable par sa coupe garçonne, son débit de paroles très assuré (saisissante scène de rupture), son côté terrien, chaque épisode de son quotidien s’offre comme en pure autonomie. Le ressassement de vielles rancœurs avec Éric, son ex, succède ainsi à un jeu de regards complices avec Stéphane, son actuel, sans qu’on puisse y déceler la moindre dialectique, le moindre échafaudage scénaristique autour des divers aspects de la vie de couple. D’un homme l’autre, le langage amoureux varie, point. Trancher sur cette question amènerait surtout à se confronter à d’autres fragments du récit demeurant en suspens : une scène d’entretien au Pôle emploi laisse deviner la situation sociale précaire du personnage, que rien par la suite ne travaillera pourtant à éclairer davantage ; Stéphane invite une jeune femme à boire un verre, et donc semble engager le récit sur le terrain de l’adultère, mais là encore, si le film accorde une place à cet instant, ce n’est pas à dessein de bifurquer vers un éternel psychodrame de la jalousie ; Mathieu, le fils d’Audrey, qu’elle retrouve auprès de vigiles à l’entrée d’un hypermarché, répond à ces derniers par la négative, lorsqu’ils lui demandent d’attester leur lien de parenté… Et ici encore, la suite ne nous regardera pas.

Moins oublieuse que sélective, Marina Déak se refuse ainsi à faire de Poursuite un film « complet », traduisible (ni comédie, ni drame, pas tout à fait une chronique sociale), durablement définissable. Sans doute parce qu’à ses yeux, l’élection d’un drame prioritaire contraindraient fatalement à tourner le dos aux interactions et ruptures de ton dont est faite toute vie ordinaire. Deux séquences dans le métro parisien, l’une en ouverture du film, l’autre à quelques minutes de la fin, interpellent ainsi par le glissement de la caméra de visage en visage, laissant entendre que chacun pourrait être le héros d’un film éventuel. Manière d’insinuer par l’image que la vie d’Audrey ne fait pas exception, que rien dans sa trajectoire ne se distingue suffisamment de celle de tout le monde pour en privilégier un aspect plutôt qu’un autre. Et morale de l’arbitraire faisant in fine de Poursuite un film cohérent dans sa dispersion, équilibré jusqu’en ses plus longs flottements : un film dans la vie, ni plus ni moins.