Laetitia Masson est dans la panade : 10 000 euros de découvert (il est sympa le banquier de Laetitia, le mien n’aurait pas la même patience). Pauvre petite marchande d’allumettes, ton navet adjanien, La Repentie, n’a pas trompé son monde : ils ont tous vu l’imposture, les cons, personne n’a payé pour voir ça. Paf : coup de fil du banquier, 10 000 euros de découvert. C’est trop injuste, il va falloir refaire un film pour bouffer. Mais artistique le film, attention. Tu vas prendre ta caméra, Laetitia, monter un budget, un casting, raconter un truc, un truc avec de l’émotion dedans. Alors pourquoi pas le Brésil ? Ben oui, pourquoi pas ? En plus un producteur te le propose et roule des pelles à l’occasion. En plus c’est le roman de ta copine Christine Angot, dont ton mari est l’éditeur. Mais attention, c’est pas facile à faire, ça remue les sentiments et tout et tout. Tu hésites, tu rechignes face à ta caméra. Mais pour bien montrer que tu es une artiste et que tu mérites ton chèque, tu vas raconter moins le bouquin que ton propre cheminement personnel à l’intérieur de la profondeur de toi-même, tout ce travail d’adaptation douloureux qui remue des sentiments et tout et tout.

Ton projet sous le bras, qu’on t’aura vu pondre sur ton Mac, tu vas le montrer à Alain Sarde et filmer la scène en DV. Sarde va dire que c’est une bouse, et nous on comprendra qu’être artiste, c’est savoir aussi s’en prendre plein la gueule. Mais l’art, la vie, les sentiments et tout et tout, c’est plus fort, c’est ce qui compte. Ton film va confirmer l’intuition de Sarde ou peut-être pas (au-spectateur-de-juger), mais en tout cas, nous et ton banquier, on constatera que tu ne te ménages pas, que tu vas au charbon, que t’en baves, que t’es une artiste, quoi. Alors Pourquoi (pas) le Brésil ? sera, c’est décidé, l’histoire d’une histoire, celle d’une adaptation impossible, l’histoire d’un empêchement, d’un échec (c’est vendeur, ça, l’échec). Sans renoncer à filmer le roman lui-même, platement, complaisamment, avec des scènes chiadées qui justifieront le budget. Ainsi on te verra, toi, bûchant sur le scénario, éconduite par Daniel Auteuil, réfléchissant sur tes chiottes ; on verra aussi Elsa Zylberstein jouer ton rôle, et aussi celui de l’héroïne du bouquin, qui n’est autre que Christine, laquelle viendra prendre un café avec toi pour faire une explication de texte. Et puis toi encore, en pleine fiction angotienne. Ce bordel-là, ça fait très moderne.

C’est bête, tu n’es pas seule sur le créneau : Laurent Baffie a sorti un film, Les Clés de bagnole, qui commence comme le tien (défilé de producteurs parisiens lui expliquant que son scénario ne valait pas 3 paquets de Moltonel épaisseur triple), qui en est l’exact remake. Chez Baffie, on était dans le registre de la pantalonnade un peu beauf, genre Lagaf’ qui se vantait de pouvoir chanter « Il est beau le bidet » et d’être premier au Top 50. A l’époque, il avait réussi son pari. Le tien est assez proche dans l’esprit, mais risque (remarque, le risque, c’est artistique) de ne pas connaître un pareil succès. Alors puisque ta démarche n’est pas éloignée de celle de Lagaf’, et pour surfer sur la vague du pitre, ton banquier s’interroge : « Pourquoi (pas) le Bigdil ? » eût été un meilleur titre, non ?

Mais franchement, Laetitia, c’est dégueulasse cette manière de jouer les pleureuses, de réclamer l’aumône quand au final on bénéficie d’une sortie confortable en salles, de conditions de tournage visiblement pas spécialement roots, de producteurs installés, d’un distributeur puissant. Comment sauver l’honneur ? S’excuser platement de tant de cuistrerie ? Ce serait encore en rajouter dans un cynisme de bas étage qui ne dit pas son nom. Alors avant le prochain Masson, luttons auprès des banques pour augmenter à l’infini les autorisations de découvert. Et sus aux agios !