Omrane, la quarantaine, fait des affaires en se chargeant de placer à Tunis les jeunes filles de son village comme bonnes à tout faire. Le nouveau film de Nouri Bouzid, réalisateur engagé, emprisonné dans les années 70 et à qui l’on doit le mémorable Homme de cendres (1986), revient à son sujet de prédilection, le dévoilement des structures féodales qui se dissimulent sous le vernis de la société tunisienne. A travers trois personnages, Omrane, raté alcoolique, Fedhah, gamine de 8 ans qu’il doit placer, et Rebbeh, jeune femme qui décide de rompre avec son statut de bonne, le cinéaste tisse le portrait croisé d’une petite communauté d’individus blessés et humiliés par un système écrasant et patriarcal.

Après Khorma de Jilani Saadi, Poupées d’argile est le second film tunisien à sortir en quelques mois sur nos écrans. Du premier, oeuvre de jeunesse pleine de promesses, à celui-ci, film de maître à l’éclatante maturité, même désir de révolte et de changement sous la pudeur de chaque plan, même volonté de réaffirmer la dignité des exclus et des marginaux. Dans la désertification des cinémas du Maghreb, Poupées d’argile advient comme un relais absolument nécessaire : il perpétue la tradition d’un art de la contestation qui, sous la sereine description du quotidien, dissimule un regard à l’acuité vivifiante. Entre Omrane, looser bouleversant, et le personnage de la petite Fedhah, lumineuse d’un bout à l’autre du film, se lit le double projet du film : la captation d’un réel en rupture, étouffant, autant que la croyance toujours renouvelée en son possible ré-enchantement.

Le seul bémol concerne le découpage et la structure du récit, assez monotone, qui multiplie les passages d’un personnage à l’autre de manière trop mécanique. Si l’ensemble fonctionne jusqu’au deux tiers, la dernière partie semble ainsi patiner un peu, sans pour autant que l’énergie transmise par la mise en scène ne s’en trouve trop déséquilibrée. Une photo magnifique, doublée de l’intelligence qui préside à chaque mouvement d’appareil, permet heureusement de constater à quel point Bouzid demeure, aujourd’hui encore, l’un des plus grands cinéastes du Maghreb arabe.