Au dernier festival de Cannes, le président de Niro a dû réagir face à Polisse comme son ami Sean Penn devant Entre les murs trois ans plus tôt. Les deux, à l’évidence, ont ressenti le même frisson de « l’authentique » – comme dirait Pagnol -, ce qui arrive quand les effets de réel d’un film vous sautent au visage, vous submergent d’émotions, quand un cinéaste réussit à fabriquer de la pure fiction, presque de l’entertainment avec acteurs, actrices et scènes culte, à partir d’un matériau documentaire brut et rude qui ne se prête guère a priori au bigger than life. Comme Penn qui trouvait « marvellous » les gosses insolents face au prof Bégaudeau, De Niro a dû se demander d’où sortait Joeystarr – extraordinaire dans le film -, s’il était un vrai flic et comment Maïwenn avait pu s’y prendre pour le faire danser ou craquer avec une pareille conviction. C’est comme ça, les Américains crient au « masterpiece » chaque fois qu’un peu de réel entre dans un film. On n’est pas forcé d’être aussi enthousiaste, même s’il faut bien admettre que le film de Maïwen secoue, et qu’au fond il n’a pas volé son prix du Jury. Après la palme d’or de Cantet, Polisse confirme la belle énergie de la french touch social post-Dardenne. Du réel, du réel, encore du réel. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Comme le Tournée d’Amalric, le Des hommes et des dieux de Beauvois ou l’Apollonide de Bonello, Polisse est un film de troupe où les acteurs et actrice sont rois et reines. Les strip-teaseuses, les moines et les prostituées cèdent la place aux flics de la BPM, mais l’attention portée au groupe, au personnage collectif, révèle un même désir : mettre les acteurs dans un écrin et les révéler comme jamais, leur offrir de jouer et d’incarner. A sa façon, Polisse est un autre Bal des actrices, où les introspections drôlissimes du gotha féminin du cinéma français seraient remplacées par l’énergie et les affres intérieurs des policiers parisiens. Maïwenn est sans conteste une des meilleures directrices d’acteurs du moment et le premier « réel » que capte magnifiquement son film, c’est celui de sa troupe au travail. Le mot rivettien sur la fiction qui est toujours documentaire sur ses acteurs est on ne peut mieux vérifié : Joeystarr en larmes se questionnant sur le sens de son métier, la joute violente entre Karin Viard et Marina Foïs, la colère politique de Naidra Ayadi (révélation du film) révèlent une proximité de la réalisatrice avec sa distribution qui permet les plus stimulants numéros de comédiens vus depuis longtemps dans le cinéma français.

Hélas, le film ne tient qu’à moitié ses promesses, parce que la succession des scènes, prises dans le vif d’une mise en scène du flux, empêchent un propos de se faire jour. Il ne s’agit pas de réclamer un message, mais de tirer conséquence filmique de tout ce que montre le film, de toutes les questions qu’il pose. Contrairement au Petit lieutenant de Beauvois, auquel on pense souvent et qui suivait une affaire policière banale pour en montrer la tragique conséquence, Polisse est gourmand, cherchant à être exhaustif sur le fond, les affaires traitées couvrant tout le spectre sociologique des drames dont sont victimes les enfants, depuis le nourrisson maltraité par une mère négligente jusqu’aux attouchements sexuels sur la fille d’un notable protégé. Or, les meilleures intentions de Maïwen, qui a enquêté longuement sur le sujet et veut donc beaucoup « informer », se retournent contre elle : à trop jouer l’inventaire, on perd une ligne, un point de vue sur le réel. Dans la liste des peines du monde, tout se vaut soudain, rien n’accroche vraiment. On a plus qu’à s’indigner. Encore et à moindre frais. Dans une belle réplique du Bal des actrices, Joeystarr jetait : « Les Dardennes, je m’en bats ! ». Sans doute, mais leur dernier film, Le Garçon au vélo suit obstinément un enfant de 12 ans placé en foyer parce que son père n’en veut plus. Une affaire banale traitée en 1h27. On se demande encore quoi faire pour lui.