Ces deux-là se livrent à un amusant chassé-croisé : après son quasi-thriller 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Cristian Mungiu est passé, avec Les Contes de l’âge d’or, du côté de la farce politique, sur un registre assez proche du premier film de son compatriote Corneliu Porumboiu : le réussi 12h08, à l’est de Bucarest. Juste retour des choses, ce dernier aborde aujourd’hui le polar et les longues filatures de Cristi, le jeune policier du film, rappellent de loin le chemin de croix d’Ottilia, à la recherche d’un avorteur (on retrouve ici l’acteur, glaçant, sous les traits d’un commissaire adepte de Socrate). Avantage Porumboiu dans les deux cas : sa farce était plus fine et plus drôle, sans la lourdeur slave qui handicapait un peu le film à sketch dirigé par Mungiu. Son polar est plus sobre et précis. Moins dépensier en effet, le cinéaste évite la dramatisation parfois excessive qui caractérisait la palme d’or 2007.

Le risque menaçait d’un naturalisme un peu terne, d’un enfermement dans un quotidien (forcément) gris et triste. Policier, adjectif n’y coupe pas complètement. Il fait partie de ces films qui n’hésitent pas à observer longuement un personnage marcher (quatre minutes), faire le guet (deux minutes), boire un thé (trois minutes)… Ce sens de la lenteur et de l’attente, plutôt qu’un tic world, est à rapprocher du cinéma moderne, et Porumboiu peut se réclamer à bon droit d’Antonioni et Bresson. Alors oui, cette modernité qui commence à dater génère depuis un moment ses propres tics, et le cinéma qu’elle inspire n’enthousiasme plus que rarement. Policier, adjectif n’échappe pas complètement au reproche, mais impose sa touche avec talent. L’inspiration, le film la puise dans ses personnages secondaires, brossés avec un sens de la farce et de la satire irréprochable. Sa galerie de collègues et secrétaires (le boulet, le susceptible…), est particulièrement réussie. Rien d’inattendu, sur le papier, tant la description des lenteurs et tracasseries administratives demeure un motif central, pour le cinéma d’Europe de l’Est. Mais un dosage toujours très sûr permet au film d’emporter le morceau. Sa truculence est aussi discrète qu’inspirée et rehausse subtilement le côté morne de l’ensemble. A l’évidence, Porumboiu n’a pas (encore) réinventé la modernité et reste prisonnier de certains automatismes. Mais ce frottement de l’antonionisme à un humour de l’Est caustique produit quelque chose d’assez neuf et bienvenu.

Pas sûr après qu’il faille accorder plus d’importance que cela au cas de conscience du policier : les ambiguïtés de la justice, la conscience morale contre la légalité… Porumboiu n’est pas Bruno Dumont (heureusement) et expédie sa philosophie en une séance de maïeutique très drôle (grande scène). Joueur plutôt que dogmatique. Les réticences de Cristi à coffrer les adolescents pourraient tenir, aussi, à sa jeunesse, le souvenir d’incartades passées, et la conscience d’un écart avec ses collègues plus âgés. Le film est très beau lorsqu’il observe son personnage filer les adolescents, arpenter un lycée dans lequel il étudiait peut-être encore quelques années plus tôt. Très beau aussi dans sa manière de filmer ses jeunes mariés : une scène de dîner qui annonce la crise de couple et s’apprête à lasser (sur le mode nous deux, c’est plus comme avant), puis la déjoue très finement, laissant deviner la complicité et la gaieté derrière la routine. Pas si fréquent, un film de l’Est qui refuse de se laisser prendre au piège de la tautologie et à la facilité du gris. Rien que pour ça, et alors qu’on nous annonce, de Cannes 2010, une semi-déception du côté d’Aurora, Policier, adjectif a toutes les chances de s’imposer comme le grand Roumain de l’année.