Dernier survivant des travailleurs français d’Hollywood (réflexion faite, il reste Louis Letterrier), la réussite américaine d’Alexandre Aja tient autant à son pragmatisme d’artisan fonceur (trois films en quatre ans, on a connu plus torturé), qu’à sa geek touch, en ces temps de remake systématique. Après La Colline a des yeux et Mirrors, c’est à Piranha que s’attaque le frenchy, avec la même décontraction qu’à l’accoutumée : pas le moindre soubresaut de déférence à l’égard du film originel, simple carcasse scénaristique customisée en madeleine de Proust rutilante. Le prélude, qui montre un Richard Dreyfus tout droit sorti de Jaws se faire croquer par les affreux poiscailles, est on ne peut plus clair : la foire aux références est ouverte avant même les premiers balbutiements de l’intrigue.

Casting croustillant (d’Elisabeth Shue au mythique Christopher Llyod, ici cousin piranhaologue décati du Doc de Retour vers le futur), remakes dans le remake (la découverte des œufs de prédateurs dans une caverne sous-marine qui reprend l’esthétique et le découpage de l’Alien de Ridley Scott), les images cultes s’enroulent autour du récit avec fluidité et malice. Sur ce plan–là, le film est vraiment jouissif, jouant avec générosité et franchise son côté Enfants de la télé de la culture vidéoclub, tant pour la rigolade nostalgique qu’elle charrie, que pour ses effets d’accumulation et de zapping. Du reste, le film creuse la connivence avec le spectateur en lui servant double ration ce qu’il est venu y chercher (du cul, du sang, de la dérision) avec une violence cathartique proche du règlement de compte. Néanmoins, l’excitation d’Aja à déchiqueter de la bombasse ne l’empêche nullement de la reluquer avec la même vigueur (le héros est un ado en pleine phase masturbatoire, embarqué sur un yacht de strip-teaseuses), ce qui suppose une réelle indécision chez le cinéaste, pas sûr de savoir exactement où placer le curseur, du côté des marginaux et des rebelles (les geeks, mères célibataires ou jouisseuses en bikini), ou bien du côté de la masse dont il se sent au fond, pas si éloigné (les djeuns).

Quoique relativement touchante (la séduction platonique entre l’ado et une gogo danceuse maternelle), cette ambiguïté dessine assez nettement les limites de Piranha 3D, rapidement à court d’idée et de subversion. Sa provoc suprême consistant à filmer un pénis numérique croqué puis roté par un piranha, Aja prend naturellement ses distances avec Joe Dante, maintenant l’ironie carnassière au stade du gloussement de buveur de bière de campus. Le jeu de massacre est à l’avenant, fun et généreux, mais un peu vain, un peu lourd. Hormis l’accumulation de sauce tomate, et un souci d’intensité qui maintient l’efficacité du spectacle forain (la 3D notamment, utilisée comme à la Géode), rien n’enrichit vraiment l’affaire, alors que tout semblait promis à cela. Impuissante à exploiter en détail la grammaire du film de monstre (pas un plan de morsure, utilisation hasardeuse de la caméra subjective), la mise en scène mâchouille ses intentions, se contente de plans larges bourrés d’hémoglobine, de mouvements patauds, et d’effets numériques vacillants. Même les piranhas eux-mêmes, cadrés trop vite, pour imposer leur espièglerie, n’arrivent pas à la cheville du premier Gremlin venu. C’est là que le bât blesse. On devine facilement qu’Aja considère le remake comme une sorte de tuning, refaire pour faire mieux, en plus moderne, en plus ambitieux. Seulement voilà, a posteriori, Piranha 3D génère un fantasme implacable et cruel : imaginer Joe Dante prendre les commandes, à nouveau.