Après la débâcle Palermo shooting (record des huées cannoises 2008, toujours inédit en salles), on pensait Wenders condamné à une déchéance durable. Aurait-il trouvé en Pina Bausch la garante rêvée pour négocier son rachat auprès de l’Institution ? Il y a de quoi s’interroger devant l’étrange posture de Pina, tant la solennité de cet hommage à l’icône du Tanzteater suinte la supplication opportuniste d’un cinéaste en mal de rédemption officielle. Le film, divisé entre témoignages de ses collaborateurs et recréation de ses chorégraphies en 3D, s’avère clairement déséquilibré. La partie documentaire s’avère terriblement ennuyeuse, enchainant les oraisons funèbres avec la même mécanique de ton et de mise en scène. L’obséquiosité des interventions est telle que le film prend (malgré lui) des airs de funérailles de luxe, où chacun se succède à l’autel pour y délivrer sa petite anecdote sur la grande Pina. On ne pouvait imaginer formatage plus contradictoire, pour un dispositif destiné à vanter les contributions de Bausch à la refonte de la danse contemporaine.

Pourtant, le film échappe (de peu) à la caricature de Grand-messe pour le 6e Art. Une fois l’über-hagiographie évacuée, et Wenders débarrassé de ses habits d’embaumeur en grande pompe, celui-ci se révèle un habile plasticien. Malgré une emphase synchrone avec le recueillement général, les parties chorégraphiées sentent heureusement moins le formol. A l’instar de Sexy dance 3D – en version beaucoup plus académique ici – la 3D déjoue toute polémique inutile (gadget ou composante artistique ?), jusqu’à s’imposer comme une évidence. À ce titre, l’oeuvre de Bausch s’avère un cas d’école idéal pour traiter des jeux de perspective offert par une chorégraphie scénique. Jouant habilement des diverses strates de profondeur de champ, du relief des espaces face à la nature plane des corps en mouvement (réduits paradoxalement à de pures silhouettes), le film donne à ses tableaux animés une cohérence spectaculaire. Mais la plus belle surprise reste l’émerveillement de Wenders lui-même devant ce nouveau lot de possibilités visuelles. Plusieurs séquences, comme celle du train suspendu de Wuppertal, donnent un écho troublant aux scènes cultes de ses premiers films allemands (Alice dans les villes en tête). Plus encore, elles témoignent d’une jouissance enfantine du cinéaste à ranimer les fantômes de son cinéma. Alors qu’on supposait Wenders fossoyeur (autoproclamé à la fin des 80’s) du 7e Art, le voici chantre crédible de sa revitalisation. Certes, Pina est loin de l’intelligence documentaire offerte par Les Rêves dansants, autre belle étude de l’aura posthume de Bausch (de toute façon, est-ce vraiment le même sujet ?). Mais sa relation ludique au relief parvient au moins à masquer ses platitudes de simple film de commande.