Quatre longs-métrages en trois ans : difficile de suivre le rythme stakhanoviste de Steven Soderbergh depuis qu’il a déballé son paquet cadeau rempli de caméras numériques. L’auteur de Piégée semble lui-même se lasser du tour métronomique qu’emprunte sa carrière, enchaînant les tournages comme Charlot aurait souhaité visser les écrous, mais répétant à longueur d’interviews que le cinéma contemporain l’ennuie et qu’il souhaite mettre un terme à sa filmographie. A voir son avant-dernier long-métrage (le dernier sortira en août 2012), nul doute qu’il a pourtant déjà touché ses indemnités de pré-retraite, et qu’il se plaît aujourd’hui à filmer du fond du placard hollywoodien où il fait fructifier avec une audace feinte son expérience de cinéaste. De ce recoin poussiéreux où s’entassent les bibelots stylistiques patiemment façonnés en presque trente ans de carrière, Soderbergh s’amuse aujourd’hui à investir les petits films de genre de sa patte tout à la fois pop, arty et rêche. Soit, dans le cas de Piégée, le thriller d’action sauce Jason Bourne qu’il tente de déglacer dans un un grand bain de réalisme et d’halètements ouatés, moins en innovateur qu’en rentier de son savoir-faire.

Ce cousinage s’assume jusque dans le récit étique formant l’ossature du film : Mallory Kane, agent secrète travaillant pour le compte d’une entreprise privée, se retrouve piégée par son employeur. Ne lui reste alors plus qu’à sauver sa peau, ce à quoi elle s’attelle en cassant méthodiquement des bras, de Barcelone aux Etats-Unis en passant par Dublin. Comme souvent chez Soderbergh, le scenario se révèle moins complexe que compliqué, volontairement obscurci par une structure temporelle éclatée. C’est que la profondeur de ses récits n’a jamais vraiment intéressé le cinéaste : Solaris ou Che ramenaient l’ampleur métaphysique ou historique de leur sujet à des arrangements plus étroits au sein desquels il donnait libre cours à son goût des scènes étirées et des structures kaleïdoscopiques. Le fond a toujours été chez lui avant tout une question de surface sur laquelle pouvaient se glisser différentes textures d’images et une composition fermée des cadres. C’est à l’intérieur de ces structures formelles géométriques que le cinéaste se fait l’observateur distancié de stratégies sentimentales, guerrières ou criminelles (mais invariablement revanchardes) de ses personnages. De là ce mélange paradoxal de langueur cool et de raideur formelle qui fait l’essentiel de sa signature.

Or, si la balance s’est toujours inclinée d’un côté ou de l’autre au gré des ambitions grand public qui l’animaient, elle penche mal dans Piégée, ne trouvant presque jamais son équilibre. Sa pente formaliste se heurte ici au genre d’humilité que réclame pourtant le film d’action : la simplicité du spectacle, le plaisir d’une danse ou la jouissance d’une fureur, tout ce qui emporte les corps dans une assomption lyrique de leur propre énergie. En plaçant d’emblée découpage et montage son sous le régime d’un dispositif radicalement anti-spectaculaire, Soderbergh croit se faire plus malin que le genre qu’il aborde mais le précipite dans un gouffre d’ennui. Au final, le spectateur se retrouve dans la position d’un juge ayant recours à l’arbitrage vidéo. Toujours idéalement placé par le point de vue fixe de la caméra, à l’écoute du moindre souffle ou délicat craquement de vertèbres, il pourra éventuellement apprécier la technicité d’un coup de manchette ou d’un jeté de savates, avec la distance d’un esthète des tatamis.

Guère étonnant alors que le seul intérêt qu’on peut trouver au film tienne à son actrice. Avec Gina Carano, Soderbergh semble livrer le véritable point d’appui de son entreprise, chaque star du casting n’agissant que comme son faire-valoir ou sparring-partner de jeu. Tout le film semble ainsi tourné autour d’un seul enjeu : filmer de la manière la plus neutre possible son corps en action, observer le mouvement de ses hanches, la fluidité de ses gestes, l’infinitésimal calcul de sa dépense. Si l’on comprend les motivations formalistes de Soderbergh, on peut néanmoins se demander s’il y avait vraiment là de quoi faire un film. Alors que le spectacle des Jeux Olympiques approche, disons-le tout net : non.