Pi nous parvient tout auréolé des signes les plus voyants du premier-film-indépendant-américain (genre à part entière, comme on le sait, dans la production nord-américaine), avec une assez forte prétention au statut de film culte de la nouvelle année : première réalisation d’un jeune cinéaste au film de fin d’étude jadis remarqué (Supermarket sweep, 1991-mais c’est la rumeur qui le dit, nous n’en avons pas vu la moindre image), production semi-artisanale, noir et blanc contrasté, montage frénétique (comme on dit), et scénario « étrange » mélangeant allègrement mathématiques, kabbale juive, jeu de go et théorie du chaos, sur fond d’effondrement de la bourse et de techno-transe-jungle ad hoc. Fort bien. Sinon ? Eh bien, ça cause de Max (Sean Gulette), jeune mathématicien génial mais migraineux à l’extrême (pour les scènes de crises, filmer en très gros plans, en accéléré, en image par image, de travers, etc., monter le volume de la musique jusqu’à l’inaudible, puis tout arrêter, écran blanc, voilà), qui pense avoir trouvé le moyen de prédire les évolutions du cours de la bourse suivant la loi des séries. On le voit travailler sur une étrange bestiole d’ordinateur, aux circuits démultipliés sur les murs de sa chambre, et qui n’arrête pas de péter avec moult étincelles chaque fois que le besoin de suspens se fait sentir. Dans les périodes de panne de la bécane, Max est un peu poursuivi par une grosse firme de traders new-yorkais, qui veut utiliser ses recherches à des fins purement mercantiles (« laissez-moi, bande de sales matérialistes », je cite de mémoire), et, plus efficacement, par un groupe de hassidim bien allumés qui pensent que la série découverte par Max est la translittération mathématique du véritable nom de Dieu caché au cœur de la Thora. Voilà. Max pourra-t-il sauver la bourse de l’effondrement ? Verra-t-il Dieu ? Échappera-t-il lui-même à l’effondrement psychotique ?

À la vérité, il ne sera apporté aucune réponse claire à ces questions, car, de même que le film accumule toutes les grimaces formelles sensées signer son statut de film expérimental, le scénario ne fait qu’enfiler les thèmes estampillés « complexe » pour nous faire croire qu’il a quelque chose à dire. A la suite de quoi, très logiquement, après l’heure et demi de zapping réglementaire, il ne lui reste qu’une chose à faire : nous planter là en s’auto-détruisant, ce qui est fait très proprement, et littéralement, en une séquence où le héros se lobotomise à la perceuse en s’admirant dans le miroir de sa salle de bain. C’est véritablement la seule scène juste de l’ensemble, puisqu’elle dit toute la vérité sur Pi, film mécanique et auto-complaisant, trop occupé à vérifier dans le miroir le fonctionnement de ses fausses bonnes idées pour pouvoir se permettre la moindre proposition de cinéma.