A la mesure de son idée originale plus roublarde que réellement folle (80 minutes dans une cabine téléphonique), Phone game est un thriller plus sympathique que vraiment « hors du commun ». Larry Cohen, connu pour ses scripts carrés et pour quelques films de genre bien emballés (Meurtres sous contrôle, Le Monstre est vivant, L’Ambulance), est un faiseur intègre, pas extrêmement malin, mais à l’efficacité certaine. Quant à Joel Schumacher, vrai cinéaste malade à force de jouer sur une multitude de tableaux (quelques blockbusters incroyablement réactionnaires, mais aussi des ovnis ambigus et fascinants tels que Tigerland), il est l’un des « problèmes » les plus passionnants du circuit hollywoodien actuel.

Phone game est le parfait produit de cette rencontre : à la fois singulier et efficace (il faut une incroyable foi dans le genre pour écrire un tel script, et pas moins de courage pour le réaliser), et en même temps assez frustrant du fait de son manque de jusqu’au-boutisme et de rigueur. On imagine ce qu’un Hitchcock, qui gambergea quelques temps sur la même idée originale, aurait fait d’un tel tour de force, et le plaisir qu’il aurait pris à retourner le concept dans tous les sens pour en exploiter les plus infimes potentialités. C’est l’inverse qui se produit ici : le film, comme s’il peinait à tenir son pari, ne fait que repousser peu à peu les limites de son espace et multiplie les échappatoires roublardes (interventions extérieures des prostituées, de la police, des proches du personnage principal). Si bien que la cabine originelle, où tout devrait se resserrer (et où tout devrait venir), se fait progressivement une sorte de lieu d’où tout part, ouverte à un territoire de plus en plus large et éloigné du postulat de départ (le duel claustrophobe entre le tueur et son destinataire téléphonique).

Le film garde néanmoins un charme certain, notamment pour ce mélange de mauvais goût très artisanal et d’hirsute folie qui le traverse de bout en bout. Schumacher, dans ce registre, est une sorte de champion poids lourds (la scène des prostituées hystériques, l’aveu public final du héros, bouleversant à force de lyrisme toc et frontal). C’est à lui et non à Cohen que revient la véritable réussite de Phone game : par sa façon énorme, quasi grotesque, de  » jouer le jeu  » et de dynamiter l’exercice de style extrêmement prétentieux que son intrigue supposait. Faux film de scénariste et vraie romance détraquée, Phone game est, à l’image de l’admirable Chute libre, l’oeuvre d’un cinéaste naturellement délirant : ni une leçon ni un pari, simplement le produit d’une aberrante et jouissive anormalité dans le panorama hollywoodien.