Du Japon au sud-est de la Chine, les films de « la nouvelle vague asiatique », si tant est qu’il y en ait une, partagent bien souvent une même fascination pour l’univers de l’homosexualité (masculine essentiellement). Tsai Ming-liang, Wong Kar-waï y reviennent fréquemment.

Même Takeshi Kitano s’y confronte (avec finesse dans Kids Return, ou de façon plus graveleuse dans Jugatsu). Ryosuke Hashiguhi, le réalisateur de Grains de sable, occupe dans cette perspective une place un peu à part. Pour lui, l’homosexualité ne fait pas l’objet d’une attirance mystérieuse, et ne se contente pas de traverser ses films de manière inconsciente ou fantasmée. Elle est le sujet avoué de ses films, voire plus : sa raison de filmer. Le cinéma, selon lui, est « un prétexte pour approfondir sa relation aux autres ». Petite fièvre des vingt ans est donc un miroir, ou plutôt une loupe, à travers laquelle le cinéaste dissèque la complexité de son propre désir homosexuel. A travers les errances de deux étudiants paumés, Tatsuo et Shin, qui se prostituent au Pinocchio (un bar gay de Tokyo), Hashiguchi donne forme aux deux visages de l’homosexualité. Il y a d’abord Tatsuru, jeune homme flegmatique et secret, qui n’est ni vraiment hétéro, ni vraiment homo, ni même véritablement « bi », se réfugiant derrière de fallacieuses motivations pécuniaires, il couche. Homme ou femme, pour lui « c’est la même chose », ni enthousiasmant, ni répugnant. Opposé à ce laxisme sexuel, il y a Shin, son camarade. Shin est fragile, vulnérable et sensible, mais il assume son homosexualité, et cherche à la légitimer. S’il déteste se prostituer, il aime passionnément Tatsuru, qui lui ne s’attache à personne. Ces deux paumés, aussi différents soient-ils, ont en commun la même interrogation : « (pourquoi) suis-je homosexuel ? ». Le film suit leur parcours, leurs passes, leurs études, et surtout leur incapacité à vivre une adolescence « normale », et à comprendre ce qui les pousse à évoluer en marge de cette normalité. Ce film est pour Hashiguchi une quête personnelle : il s’agit pour lui de traquer les ambiguïtés, les contradictions de l’amour homosexuel, afin de rendre justice à des sentiments complexes ombragés par la prédominance de clichés.

Cette quête de l’authenticité homosexuelle fait toute la force du film, mais marque parfois ses limites : le style du cinéaste alterne entre une mise en scène soignée, inventive mais souvent superficielle, et l’emploi de très longs plans séquences fixes, quasi documentaires, au sein desquels se côtoient à la fois les passages les plus brillants et les plus laborieux du film.

Tout comme ses deux héros, que leur sexualité laisse dubitatifs et partagés, Hashiguchi, en tournant, est confronté à un dilemme intime. Il aimerait faire confiance au langage cinématographique (auquel il s’essaie), mais ne semble pas toujours lui reconnaître la faculté de traduire la justesse de certains sentiments ou états, jusqu’à préférer enregistrer de la manière la plus désinvestie qui soit les scènes les plus cruciales, reléguant la caméra au rang « d’esclave-enregistreur » du jeu des acteurs. Le ton est là, le talent aussi, mais le style se cherche encore. Patience…