La famille : source d’une dissonance permanente, d’une peur sourde, cellule impossible à gérer, toujours au bord du chaos. La thématique n’est pas nouvelle (voir récemment Famille, je vous hais de Bruno Bontzolakis ou, sur un mode plus burlesque, Dis-moi que je rêve de Claude Mourieras), mais Hélène Angel renouvelle tous ces poncifs avec une force et un talent singuliers. En travaillant sur l’inconscient animal de ses personnages, Peau d’homme, cœur de bête devient un beau chantier d’images oniriques et charnelles, souvent lestées par l’attraction implacable du réel.

Figure-pivot du film, Coco retrouve son clan après quinze années d’absence et de silence soi-disant passées dans la légion. La maison Pujol, avec Francky, l’aîné cogneur, et ses deux filles, Aurélie et Christelle ; Alex, le benjamin, qui traîne dans des combines louches ; Marthe, la mère, aussi forte que désemparée ; et le fantôme du patriarche disparu. Coco se révèle le plus atteint de tous : impassible, cachant son passé, et en proie à de brusques accès de folie (brutalité, destruction) qui le mèneront au meurtre…

En se glissant dans l’univers mental de chacun de ses protagonistes, Hélène Angel ouvre des brèches multiples et ordonne une polyphonie des genres : conte de fées (Aurélie et Christelle), tragédie antique (Marthe), film d’horreur (Coco), récit cruel d’apprentissage (Alex). Des mondes qui, toutefois, s’interpénètrent sans cesse, et convergent tous vers une sorte d’énergie malade trouvant sa pleine démesure en Coco. Ainsi, le film fonctionne sous tension, dans l’angoisse du dérapage, du coup de poing, de la violence qui ne demande qu’à surgir. Cette violence, c’est la fratrie qui la génère (Francky / Coco), ou bien l’accuse avant de la renvoyer (Alex). Les enfants, eux, ont trouvé le moyen de s’en débarrasser en restant dans la vie (la très belle séquence finale). Porté par des acteurs exceptionnels (notamment une Maaîke Jansen que l’on a coutume de voir dans des rôles plus légers, et qui excelle ici dans la gravité, ou encore Guilaine Londez, impressionnante en nymphomane du village), Peau d’homme, cœur de bête porte en lui les stigmates poétiques et plastiques d’une déjà grande cinéaste.