De tous les cinéastes émigrés de HK, John Woo est sans doute celui dont la trajectoire est la plus ambiguë. Après le phénoménal Volte / face, greffe idéale, Mission : impossible 2 et surtout Windtalkers on marqué la progressive immersion du cinéaste dans un univers strictement américain. Qu’en ressortirait-il sur la longueur ? La réponse vient plus vite que prévue avec ce Paychek, thriller d’espionnage high-tech dont Woo ressort extrêmement patraque : sans rythme, sans idées, le film a tout d’un mauvais James Bond surfant maladroitement sur la vague de la SF réaliste, entre Spielberg (Minority report) et Doug Liman (La Mémoire dans la peau).

L’intrigue, adaptée de K. Dick, était pourtant prometteuse : l’ingénieur Michael Jennings (Ben Affleck) travaille sur des projets top-secrets, commandités par des sociétés de haute technologie. A l’issue de chaque mission, sa mémoire est « effacée » par contrat pour l’empêcher de divulguer la moindre information confidentielle. L’une d’entre elles tourne mal et voit Jennings, pour une histoire de vol d’argent, partir à la recherche de son passé avec l’aide de quelques objets. Entre délires temporels et paranaoïa, Paycheck débute sur les chapeaux de roue : élégance du style, univers visuel chatoyant, suavité des mises en situation. Mais très vite, la structure, au lieu de s’emballer, patine dans un étrange entre-deux, avec d’un côté un rapport ludique au genre (avancer comme dans un jeu vidéo d’aventures, en utilisant le bon objet au bon moment), de l’autre une façon de désamorcer tout suspense assez cynique. Ne trouvant jamais l’équilibre entre éloge du virtuel et mélasse artificielle, le film lâche son spectateur dès le deuxième tiers.

Peu aidé par la composition de Ben Affleck, endive de bout en bout, Paycheck sombre carrément dans sa dernière partie. Grande scène catastrophique (poursuite à moto dans une casse) et finale au coeur du repère du grand méchant (plus 20 minutes de combats mal chorégraphiés) évoquent le plus bas de gamme des thrillers. C’est mou, interminable, sans une once d’originalité. Indigne de John Woo, ce Paycheck ? Pas forcément, tant cette commande platement respectée témoigne peut-être de la fin d’une mue et de l’embourgeoisement tranquille dans lequel se trouve aujourd’hui John Woo : un grand cinéaste encocooné dans le système et rendu à un statut d’aimable faiseur en pilotage automatique. Souhaitons qu’il en sorte au plus vite.