Nuits blanches sur la jetée donne le sentiment que la nouvelle dont vous vous inspirez, Les nuits blanches, colle parfaitement avec votre univers. Chez vous comme chez Dostoïevski, il y a ce goût du monologue, cette idée que chaque personnage doit raconter son histoire…

J’ai vu coup sur coup le film de Bresson et celui de Visconti, je les ai adorés à un détail près : je trouve que Mastroianni pleure trop dans le Visconti. Je connaissais bien Dostoïevski mais il se trouve que je n’avais jamais lu la nouvelle. Je l’ai finalement lue dans une double édition, où elle était accompagnée des Carnets du sous-sol. La confrontation des deux m’a donné l’idée suivante : le personnage est masochiste, il y a quelque chance pour que le personnage féminin n’existe pas. En l’adaptant, j’ai suivi cette idée mais en me disant qu’il ne fallait pas qu’elle soit trop apparente, qu’il fallait la deviner. C’est un peu comme les cailloux du Petit Poucet : il y a le moment où elle s’en va enveloppée de lumière, celui où il n’y a que ses mains dans le champ et où le personne masculin la fait y entrer…

Lui-même pourrait être vu comme son rêve à elle : il est parfois dans la pénombre tandis qu’elle est éclairée.

Dans ma conception, quand un créateur créé une créature, parfois la créature se révolte. L’autre caillou du Petit Poucet c’est quand, brusquement il la perd en tant que son. J’ai fait ce plan complètement théorique, ce que je ne fais jamais, ce travelling avant où ils avancent l’un vers l’autre. C’est un plan anti-naturaliste au possible, qui est là pour dire « attention c’est pas le néo-naturalisme d’aujourd’hui, ouvrez bien vos yeux, vos oreilles, il va se passer tout à fait autre chose ». Un peu comme les annonces au cirque.

Justement, vous preniez un risque avec un tel film : que le spectateur finisse par ne plus écouter. Comment s’y prend-on pour donner à écouter des dialogues pendant 1h30 ?

J’avais demandé à mes acteurs une chose capitale : qu’ils se voient en amont, là où ils voulaient (ils ont choisi le canal de l’Ourcq), pour apprendre le texte au rasoir. Je les ai prévenus qu’il n’y aurait qu’une prise. Pour moi la première prise est celle de l’innocence, à partir de la deuxième l’acteur commence à raisonner son travail et à faire ce que je déteste le plus au monde : de la psychologie. Je leur disais : s’il y a une nuisance sonore intégrez-la dans votre dialogue. D’où la réplique d’Astrid Adverbe : « c’est votre avion ? C’est votre bateau ? ». Et là, le bateau passe derrière eux…
Je leur ai donné uniquement des indications de cadence, de pause, de silence, comme sur une portée musicale. C’est presque comme un chant sans musique. Il me semble que là on peut écouter, entendre, et participer.

Mais il y a quand même toute une préparation en amont du tournage…

Non, parce qu’ils ont travaillé à plat. Je leur ai dit : surtout vous n’apprenez que les mots, et à aucun moment l’intonation. D’ailleurs sur le tournage, j’ai été très souvent spectateur, ce qui est très rare pour un réalisateur. Quelquefois je retenais le fou rire, quelque fois je retenais les larmes. La première nuit m’a bouleversé. L’eau, les clapotis, les visages, et quand Pascal Cervo dit qu’il a pleuré une fois pour un souvenir : j’étais en larmes.

Qui incarne pour vous ce « néo-naturalisme » contre lequel vous pestez souvent ?

Tout le cinéma français, parce qu’on ne comprend pas un mot de ce que les gens disent. Ça me paraît totalement insultant pour le spectateur.

Il y a souvent une opposition un peu binaire entre le corps et la parole : si le corps parle, la parole est en retrait.

Cinéma du corps ? Mais pourquoi ils ne font pas du documentaire, pourquoi il y a des dialogues ?
Revenons à Nuits blanches sur la jetée. La version de Bresson donnait un film très bressonien. Le vôtre est très vecchialien, mais c’est, disons : 50% Dostoïevski et 50% Vecchiali…

Le plus beau compliment que qu’on m’ait fait est venu d’un spécialiste de Dostoïevski, qui m’a dit : enfin, je vois une adaptation fidèle à Dostoïevski. Une amie très chère m’a également dit ça, on me l’a dit cinq ou six fois : que c’était l’adaptation la plus fidèle et que les autres réalisateurs faisaient leur boulot sans rejoindre Dostoïevski.

Avez-vous vu  Two Lovers  de James Gray ?

Hélas ! Ce n’est pas que je n’aime pas ce film, je le hais. Il y a deux trahisons. D’abord, Dostoïevski n’est pas cité au générique. Et puis le fait de retravailler complètement la nouvelle en mettant ces deux femmes… Il n’y a jamais la possibilité, disons comme dans mon film Femmes femmes, que ces deux femmes n’en soient finalement qu’une. Dans Femmes femmes on peut dire : Hélène ne sort plus alors Sonia va faire tout ce qu’elle ne veut plus faire. Mais ce n’est pas du tout une lecture obligatoire. Dans Two Lovers cette lecture n’y est pas du tout. D’une manière générale je n’aime pas du tout ce que fait James Gray pour une raison simple : il y a une lumière unique tout le long de son film, elle est ocrée, c’est-à-dire hyper-moderne, hyper in. Globalement, c’est le formatage classique du cinéma américain contemporain : le champ/contrechamp systématique. Cela a rejailli sur le cinéma français : quelqu’un parle, c’est lui qu’on filme. Je ne comprends pas qu’on fasse du cinéma comme ça, pour moi c’est de la télévision. C’est ce que demande la télévision : mettre la caméra devant celui qui parle. J’ai fait beaucoup de télévision et je me suis entendu dire ça plusieurs fois, j’ai toujours refusé. Je ne dis pas que le champ-contrechamp est une chose à bannir : mais champ, contrechamp, ça signifie un affrontement.

D’ailleurs, Nuits blanches sur la jetée peut être vu comme un film assez théorique autour de cette question : comment va-t-on se sortir du champ-contrechamp ? C’est un huis clos, vous avez deux personnages, donc on se dit : champ-contrechamp. Or vous trouvez beaucoup de solutions pour y échapper.

Tout à fait. Il y a quatre champs-contrechamps dans le film.

Quand vous parlez de James Gray, on a le sentiment que ce que vous n’aimez pas chez lui, c’est l’homogénéité.

Vous avez prononcé le mot que j’attendais. L’homogénéité, c’est contraire à la vie. La vie est hétérogène par définition. Il n’y a pas une chose qui soit homogène dans la vie : le sentiment, l’apparence… Tout ce qui est vivant est hétérogène, et je me suis appliqué comme un fou, dans mes films, à travailler vers l’hétérogénéité.

C’est en effet la première chose qui frappe dans vos films : ils sont accueillants. Au sens où ils accueillent tout ce qu’ils peuvent accueillir, toute l’hétérogénéité du monde. Dans Nuits blanches par exemple, il y a ces scènes de jour filmées à l’Iphone, qui tranchent avec les scènes de nuit.

Les scènes de jour sont filmées à l’Iphone et les scènes de nuit au 5D, avec trois objectifs 65mm. Il y a une raison technique : on est de nuit, il faut ouvrir, c’est pas facile sans objectif, on aurait eu du pixel, du grain, ce qui est irrespectueux vis-à-vis du spectateur.

Etiez-vous content du rendu de l’Iphone ?

J’adore l’Iphone, c’est mon opérateur qui m’en a parlé. Il m’a dit : je te jure Paul, c’est fait pour toi. j’ai fait un film au Iphone, Faux accords. J’ai été complètement bluffé. Le 35, je l’ai évacué depuis longtemps.

Pourquoi c’est fait pour vous, l’Iphone ?

Ce que m’a dit mon opérateur, c’est que je suis quelqu’un qui cherche. Je me définis comme ça, dans mon œuvre il n’y a jamais eu deux fois le même film. Après l’immense succès de Rosa la rose, on m’a proposé plus de quarante scénarios de prostituée, je leur ai dit : je viens de le faire, merci. Pourtant il y avait de l’argent à la clé, avec des actrices que je ne nommerai pas. Ne croyez pas que c’est de la pureté, je ne peux juste pas remettre les pieds dans mes traces. Je m’ennuierais, et je fais du cinéma pour m’amuser avant tout.

Vous évoquiez l’image ocre, mordorée de Gray : vous trouvez que le cinéma est devenu trop performant, trop lisse ?

Disons que le problème c’est ça, c’est l’image, le cinéma qui se donne une image de lui-même. De même que certaines actrices se donnent une image d’elles-mêmes et s’écoutent jouer, parler. Je trouve que c’est un manque de respect formidable par rapport au personnage – pas par rapport au spectateur, qui prend souvent du plaisir à ça.

En même temps, vous ouvrez Femmes femmes sur cette citation : « Pour vivre dans la vérité il faut jouer la comédie ». Il y a une vérité du masque…

Pour moi, jouer la comédie c’est autre chose, tout le contraire de « travailler à la table ». Au théâtre tout le monde se met autour d’une table et on met en place la psychologie des personnages. Je ne fais pas ça. J’ai eu des conflits d’une violence incroyable avec des comédiennes. Ça ne m’intéresse pas qu’une comédienne explique au spectateur ce qu’elle a compris du personnage. Vous devez rester dans l’innocence psychologique. Pour moi, au théâtre, les sentiments c’est dans les jambes. C’est quand tu bouges : si tu vas vite ça a du sens, si tu vas lentement, ça a un autre sens. Les sentiments peuvent communiquer par les jambes, pas par la tête ni par la psychologie. Ça vous explique mon rapport au cinéma parce que c’est la même chose.

Comment trouvez-vous vos acteurs ?

J’écris pour les gens. Là je fais un film qui s’appelle C’est l’amour avec Astrid Adverbe, Pascal Cervo et d’autres acteurs encore méconnus. J’ai fait une pentalogie chez moi, je m’en foutais un peu que les films ne sortent pas. Je faisais les films chez moi avec mon argent, je ne devais rien à personne, j’étais tranquille. Il m’est tombé sur la gueule ces Nuits Blanches qui ont tout remis en question et puis ma rencontre avec Thomas Ordonneau (qui dirige la société de production et distribution Shellac – ndlr), un homme exceptionnel qui est tombé amoureux de mon travail.

Avant que nous ne commencions, vous évoquiez la réception de votre dernier film, en disant ne pas supporter les critiques positives qui argumentent mal…

Oui, quand on a l’impression que le critique se projette dans le film et qu’il se met à la place du réalisateur. Pourquoi pas, c’est amusant voire émouvant, c’est comme s’il venait vous demander la main de votre fille.

En même temps les meilleures critiques sont souvent de beaux portraits de ceux qui les écrivent.
Les meilleures critiques sont celles qui parlent du film avec des arguments précis, qui sont donc exactement dans mon sillage et qui en même temps parlent de ceux qui les écrivent. C’est donc les deux, dans un même mouvement. Je me souviens qu’à la sortie d’une projection de Corps à cœur, il y avait un couple en larmes, puis un autre couple, puis une femme. Ils sont allés boire un pot après le film, je les ai suivis, et là où j’étais vraiment heureux c’est qu’à aucun moment ils n’ont parlé du film, ils n’ont fait que parler d’eux-mêmes. Pour moi c’est la plus belle des récompenses. Le film est un moyen de communiquer avec des gens, on leur offre un terrain et ils construisent eux-mêmes leur maison. C’est ce que j’aime le plus.

Est-ce encore le cas à une époque où l’on fétichise, comme on le fait aujourd’hui, le cinéma ?

J’ai les deux en moi, la fétichisation (la cinéphilie) et puis la vie. Je cite Madame de… dans Nuits Blanches, et dans Retour à Mayerling il y a des hommages constants à Madame Muir, au Ciel peut attendre… Je cite toujours mes influences à la fin, sauf quand c’est inconscient. Je pense que l’âge fait ça : la mémoire cinéphilique est tellement… plus que présente, prégnante, qu’on a envie de la restituer pour se libérer un peu, pour se libérer la mémoire.

Qu’est-ce qui est plus prégnant, les souvenirs de vie ou de films ?

Certainement les souvenirs de vie. Mais comme je suis un cinéphage, c’est souvent lié. De fait, pas mal de mes films sont inspirés de ma vie. Pas du tout le dernier mais Corps à cœur, oui, beaucoup, Once more beaucoup. L’Etrangleur c’est un peu différent : je me suis promené pendant quinze nuits dans la banlieue de Paris en état réceptif, en rentrant j’écrivais sans savoir quoi, et je relisais en me disant qu’il n’y avait pas grand chose à faire. C’était plutôt un grand poème sur la nuit.
On parle souvent des sentiments quand on évoque vos films. Quels sont pour vous les cinéastes sentimentaux ?

Grémillon, Ophuls avec plus de distance, Carné bien sûr. Dans les récents, dans les américains : rien. Je n’aime rien du cinéma américain d’aujourd’hui, je trouve plus d’intérêt dans le cinéma du Moyen Orient. Dans le cinéma français, dernièrement il y a eu « Toi, moi, les autres » d’Audrey Estrougo, c’est un film chanté et dansé entre On connaît la chanson de Resnais et Une chambre en vill. Il y a des chansons du répertoire, et l’histoire d’une femme dont un fils est en prison joué par Leïla Bekhti – ça c’est une actrice, une vraie. La musique va du quasi-classique au hip-hop. Pour moi ce film est un chef d’oeuvre. Sinon il y a L’équipier de Philippe Lioret. Après, ce qui compte pour moi, c’est l’écriture filmique, et là c’est un peu faible.

C’est-à-dire ?

Le film ne doit pas être une addition de plan, tout doit aller vers une finalité. L’écriture filmique est la conséquence d’une grande prise de risque à la mise en scène. Choisir de faire un plan-séquence parce qu’il y a une nécessité filmique de le faire, c’est en rapport avec le sentiment, ce mélange de technique et d’émotion qui fait que l’oeuvre finie n’est pas de même nature que les éléments qui la composent. J’ai une autre image : un film intéressant c’est comme un fleuve qui sort de la montagne (le scénario), qui va à la mer (le spectateur) et plus il est vigoureux plus il a charrié de saloperies. Enfin, on peut parler d’hétérogénéité, c’est plus correct. Il y a des chef-d’oeuvre remplis de choses impures.

En parlant d’impureté, dans Corps à cœur n’importe quel autre cinéaste se serait focalisé sur les deux héros, or le film est sans cesse parasité par une peuplade de personnages secondaires…

C’est le choeur antique, mais avec de l’auto-dérision. Je ne peux pas vivre sans auto-dérision.

Et pourtant vous restez un cinéaste du premier degré.

Oui mais avec de l’autodérision. Quand Paulette Bouvet se tourne et demande « vous entendez ce ramdam ? » il y a un décalage voulu, je sais que là ça va heurter.

Le point commun que vous avez avec Grémillon c’est de voir la passion comme une aventure qu’il faut expérimenter jusqu’au bout. L’idée par exemple d’un personnage malade qui va aller jusqu’au bout de sa maladie, comme dans Le Ciel à vous. On va au bout de cette folie qui n’est pas vraiment une folie puisqu’elle rend complètement lucide.

Je ne peux rien dire d’autre que ce que vous venez de dire. Dans Le ciel est à vous il y a un exemple typique de ce que j’appelle la dialectique. Quand Vanel attend sa femme, il est dans tout ses états, il ne sait pas si elle est morte, et le film le réhabilite in extremis. Il est là, il entend des bruits, la foule arrive, on sent qu’il va être lynché et en fait on lui annonce que sa femme est revenue. Là c’est le sommet, c’est la dialectique, d’où le nom de ma société Dialectik.

Il y a un ridicule des sentiments dans vos films. La passion, c’est peut être une façon d’ignorer le ridicule.

Surgère demande à Pierrot : « tu es heureux ? » et il lui répond « le bonheur c’est dérisoire ». Le personnage de Michelle que joue Surgère, c’est un personnage qui se donne et regrette de s’être donné. Elle se refuse pour des raisons très obscures, on ne sait pas pourquoi (est-elle vraiment malade ? ). Elle lui dit « je vous invite à dîner mais pas à coucher », c’est la phrase-clé de leur rapport. Les raisons qui la motivent à agir ne sont pas claires et pour moi c’est essentiel. Je suis heureux quand le film est ouvert. Je n’aime pas qu’un spectateur sorte de la salle et oublie le film. Quand je vois Seven women de Ford, il vit avec moi pendant des mois et quand il ne vit plus, eh bien je le revois.

Vous évoquiez le masochisme de Fédor dans Nuits blanches. Le masochisme vous intéresse-t-il plus que le bonheur ?

De toutes les façons le masochiste se fait plaisir dans la douleur, mais je ne crois pas que Pierrot soit masochiste. La différence entre Rosa la Rose et Corps à cœur, c’est que ce dernier n’est pas un mélodrame mais un drame ou une tragédie. Il suffit de penser que Surgère est une reine et Pierrot un page pour voir que ça fonctionne. Et ceci malgré la musique de Fauré.

Quand on voit le film on pense pourtant au mélodrame : Pierrot incarne la passion dans ce qu’elle a de plus pur et intransigeant.

Oui mais dans le mélodrame les gens subissent leur sort : voir les Deux Orphelines de Griffith. Alors que là ils sont totalement maîtres de leur destin, ça c’est la tragédie.

On pourrait dire qu’ils maitrisent et choisissent ce qu’ils vont subir.

Exactement. C’est pour ça que je me bats pour dire que ce n’est pas un mélodrame.

La passion semble être pour vous une expérience de la marge. Et pour vous la marge c’est quelque chose de positif.

Oui il y a ça dans beaucoup de mes films. C’est une libération, la marge, parce que la société est détestable. Je la préfèrerais aimable mais elle est détestable. A dix ans j’ai fait ma première communion et en rentrant je dis à ma mère : « maman j’ai fait ça pour te faire plaisir, à partir de maintenant ne me parle plus jamais ni de Dieu, ni du pouvoir ni de l’argent ». Et elle m’a répondue « Mais tu es anarchiste ? ». Je ne connaissais pas le mot. Je suis resté le même.

Et la passion, c’est une forme d’anarchie ?

Oui, disons que c’est le refus de tout ce qui nous entoure au profit d’un seul être –  c’est ce qui arrive à Pierrot à un degré considérable. Jusqu’à ma mort, je remercierai Nicolas Silberg d’avoir joué comme il a joué.

Dans Once more la passion s’oppose à la conjugalité, on en sort pour passer à l’amour libre.

Non, pour moi ce n’est pas ça. Pour moi il change de conjugalité : le décor conjugal homme-femme est identique au décor conjugal homme-homme. Il a besoin de la conjugalité et il est entouré d’extra-conjugaux. Je ne vois pas pourquoi la passion serait exclue de la conjugalité. A titre personnel j’ai vécu quinze ans avec une femme, jamais la passion n’a été submergée par le quotidien.
C’est une opposition assez banale et qui a encore cours dans le cinéma français : passion / conjugalité.

Je trouve qu’on a tort là-dessus, quand la passion n’est plus là le mariage meurt. J’ai effectivement connu des gens qui vivaient un quotidien mécanique. La conjugalité sans passion c’est une erreur.

Et la passion sans conjugalité ?

C’est la douleur.

Pour revenir sur Femmes femmes : c’est un grand film sur l’amitié féminine, quelque chose de très rare au cinéma, et qui fait beaucoup penser à Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? De Robert Aldrich.
On me l’a souvent dit. Je n’y ai pas du tout pensé. L’origine, c’était Signoret qui rencontrait à la sortie d’un cinéma un clochard en train de boire. Elle avait pour sœur une grande bourgeoise, Danièle Darrieux. Elle était fascinée par ce clochard et se mettait à  boire. Tandis que Darrieux avait une passion pour le champagne. Signoret s’enfonçait dans la clochardise. On est partis en ping-pong, on a écrit ça en cinq jours avec Noël Simsolo. Darrieux-Signoret c’était une utopie, alors on a pris Surgère et Saviange et on a fait avec.

Là où on pourrait rapprocher Femmes femmes de Nuits blanches, c’est qu’il y a toujours dans vos films un film parallèle qui est mobilisé par ce qu’on raconte – un reflux du passé. Un film invisible uniquement composé de flashbacks oraux. C’est par là que les mots font partie de la mise en scène.

Exactement. J’ai envie que le spectateur s’empare de mes films. Ce qui est formidable pendant les débats, c’est quand on s’aperçoit que…c’est difficile à expliquer : tout le monde a tout vu mais pas chacun. Quand on fait la somme de ce que le public a vu, il y a pratiquement tout le film, et bien davantage. Une comparaison : si je fais un tapis, si je suis tisserand, je fais un motif mais aux yeux d’un autre apparaîtra d’autres motifs que le tisserand ne voit pas. Quand j’étais petit, il y avait des petites assiettes à dessert avec dessiné dessus, par exemple, un berger au pied d’un arbre, et marqué en dessous : « Cherchez le loup », et dans les branches on pouvait discerner la figure d’un loup. Eh bien moi, ma figure du loup, dans mes films je ne la fais pas, je ne la fabrique pas, mais quelque fois les gens la voient.

 

COPYRIGHT: © Wladimir Zaleski