30 minutes pour se faire des illusions sur le film, 65 minutes pour en revenir péniblement. Pas une de moins. Le temps qu’une rude approche documentaire (les acteurs non professionnels jouent leur propre rôle) se délite en un vague objet pédagogique destiné à sensibiliser les populations urbaines à la situation de l’éducation en zone rurale. Plutôt que culpabiliser le citadin chinois indifférent, Zhang Yimou illustre dans un final rose bonbon l’impact merveilleux (Noël avant l’heure) que peut produire un élan populaire généreux (initié par la télévision) pour un village de montagne en manque de ressources. En clair : faites vous plaisir, aidez-les !
Pourtant, l’intrusion de la caméra dans cet univers fut séduisante. Filmés de dos, une jeune fille et un homme en costume traditionnel s’enfoncent interminablement dans la montagne en marchant sur une route caillouteuse pour rejoindre un lieu de vie aux habitations tellement rares et dispersées qu’elles en deviennent invisibles. Constamment maintenues hors champ, leur existence improbable se matérialise seulement par la présence d’enfants réunis dans la salle de classe commune. Parce qu’elle seule retient les enfants dans ce lieu désolé et permet au village d’exister (d’être visible donc), l’école constitue le pivot de cette société.

Pour remplacer le professeur absent un mois, le chef du village a promis une maigre somme d’argent à une collégienne d’à peine 13 ans. Coincée dans ce bout du monde, la caméra détaille chaque contact humain avec la curiosité distante d’un observateur étranger. La succession de plans fixes qui enregistrent sans parti pris les tractations financières successives d’égal à égal entre la jeune fille et les deux adultes (ils refusent de lui donner son argent immédiatement et imposent des conditions au paiement) reflètent habilement la situation économique précaire du village et les rapports humains âpres et tendus qu’elle induit. Un affrontement de miséreux, entre des intérêts égoïstes et contradictoires se dessine.
Payée à la seule condition de conserver la totalité de son effectif, confrontée à un rôle éducatif et à une classe qu’elle ne maîtrise pas, l’adolescente se contente de retenir les enfants dans l’école. Malheureusement, à peine esquissé, cet enjeu (possibilité ou non de concilier misère et altruisme) est rapidement escamoté.

Lorsque l’enfant le plus turbulent de la classe quitte l’école pour aller gagner de l’argent en ville, l’institutrice se fait un devoir de le ramener au village. D’abord pour remplir son contrat, puis par élan humaniste. Dès lors le film sombre dans l’artificialité d’une longue publicité institutionnelle. La caméra déambule avec la jeune fille sans rien d’autre à se mettre sous l’objectif qu’une sensiblerie bienveillante mais malvenue au cinéma. En particulier quand elle occupe les deux tiers du film.