Issues d’un concours de scénarios, ces douze petites histoires s’attachent à montrer la discrimination au quotidien. Il n’y est donc pas question de stigmatiser le racisme dans ses manifestations les plus grossières mais plutôt d’évoquer ces « petits riens » (titre du film de Xavier Durringer, l’un des plus marquants de la série), ces petits gestes, paroles, regards qui sont tout aussi destructeurs que n’importe quel discours d’un certain admirateur de Jeanne d’Arc.

En excluant les images chocs, les slogans tapageurs ou les cibles trop évidentes, Pas d’histoires réussit à éviter les défauts fréquemment rencontrés dans ce type de projets : manichéisme, démonstration coup de poing (du style « le racisme c’est de la merde » pour paraphraser une célèbre campagne des années 80). Et si les films sont de qualité inégale, la démarche est suffisamment inhabituelle pour donner lieu à quelques courts métrages dignes d’intérêt. Comme par exemple Cyrano, réalisé par Vincent Lindon. Cette variation moderne de la pièce d’Edmond Rostand met en scène une jeune fille qui reçoit comme il se doit des lettres passionnées d’un admirateur anonyme. Arrive le jour du premier rendez-vous. Assise à la terrasse d’un café, elle écarte négligemment les roses que lui tend un Indien, or celui qu’elle a pris pour un vendeur à la sauvette est en réalité l’auteur des missives. Nos réflexes sont conditionnés par une représentation sclérosée de l’autre : Indien + roses égale forcément vendeur à la sauvette, l’association est immédiate, automatique. Il en est de même pour ces trois garçons d’origine maghrébine qui draguent une fille dans un bus (Relou de Fanta Régina Nacro). Ils s’imposent lourdement, insistent et vont même jusqu’à l’insulter en arabe mais la jolie blonde leur répond dans la même langue, elle est kabyle. Une illustration habile, sous forme de contre-pied, du caractère partagé des préjugés. Et si une Arabe ne peut être blonde, une fée, par contre, l’est forcément (Pimprenelle de Yamina Benguigui). Samia se présente pour animer un goûter d’anniversaire mais l’accueil de la maman de la petite fille est glacial. La jeune femme dispose de tous les accessoires, baguette magique, chapeau, etc. Mais voilà, elle est brune, bref une Marocaine en fée cela fait un peu tache. La démonstration est un peu trop schématique -la mère est une caricature de la bourgeoise du seizième- mais elle a le mérite de remettre en cause nos représentations univoques de la réalité : puisque l’iconographie l’a toujours présentée ainsi, une fée se doit d’être blonde. Il convient également de citer le film réalisé par Xavier Durringer, Petits riens, qui analyse de manière implacable l’invasion insidieuse du racisme dans tous les gestes de la vie quotidienne. Que ce soit dans la sphère de l’intime -une sortie en boîte- ou dans les rapports professionnels -un entretien d’embauche-, tout semble contaminé par des rapports biaisés.

Quatre films singuliers plus deux ou trois autres tout à fait honorables (Mohamed de Catherine Corsini, Le Vigneron français de Christophe Otzenberger et Lettre à Abou d’Emilie Deleuze) parmi « Douze regards », cela donne un moyenne plus que correcte pour ce type d’exercice particulièrement risqué.