En 69, un shérif obèse et raciste est tué d’un coup de couteau dans la panse. Un éventreur d’alligators (John Cusack), pur redneck – ou plutôt, puisqu’on est en Floride, pur cracker – est arrêté et risque la peine de mort. Son amante (Nicole Kidman) engage des journalistes de Miami (Matthew McConaughey, David Oyelowo) flanqués d’un « paperboy » (Zac Efron) pour mener l’enquête et tenter de le sauver. Or le cracker, innocent ou pas, va se révéler une ignoble crapule précipitant la destinée white trash de Kidman : pin up déjà un peu avariée, botoxée au rabais, elle se prépare un avenir de coquards et de moustiques géants dans les marais floridiens.

Nous voici en présence d’un mini-Killer Joe, dont on retrouvera au moins trois choses : le Sud, Matthew McConaughey, la pipe simulée. Il y a une drôle de rime entre Gina Gershon suçant son poulet frit face à l’abominable shérif de Killer Joe, et Nicole Kidman bouche ouverte face à l’abominable taulard de Paperboy. Dans les deux cas, l’humiliation vise au-delà du personnage féminin, elle vise sa classe ; au-delà de sa classe, sa racewhite trash, donc, c’est-à-dire blanche et pauvre, considérée « moins blanche que blanche ». La différence entre Gershon et Kidman, c’est que la première est déjà white trash, et que la deuxième n’est qu’en passe de le devenir. Ce qui maintient d’abord notre intérêt, dans Paperboy, serait ce parallèle entre la condition des Noirs subissant encore les relents esclavagistes, et celle que le petit groupe du film (Efron, Kidman, McConaughey, Oyelowo), ensemble composite, mâtiné, en voie de marginalisation (journalistes plus ou moins miteux et comprenant un homosexuel et un Noir, obligés de tenir leur bureau dans un garage, au milieu des huiles de moteur) se constitue au fil des scènes.

Assez beau personnage de Kidman : les lèvres boursouflées, l’actrice décroche le parfait rôle de l’Après-Chirurgie. Marylin sous acide, nymphomane en léopard rappelant son rôle de Prête à tout, elle surgit de nulle part, de l’Amérique en gros, de l’Amérique des pin up pour insensiblement glisser vers la malédiction du Sud : celle de l’esclave (notamment sexuel, donc), d’une sorte de « déchéance raciale » par la pauvreté.

Mais ces thématiques sont jointoyées balin-balan par une mise en scène qui jamais ne trouve ses marques entre le film atmosphérique et le « thriller torride » – déception pour les deux. D’un côté, conversations entrecoupées, prééminence du climat (grosse canicule), fièvres amoureuses, piqûres de méduse, etc., tout un style vaguement arty, raté. De l’autre, tentatives faussement sulfureuses – pipe factice à part, c’est Kidman urinant sur Efron mais sans qu’on ne voie rien du tout, ou encore la scène de lit entre ces deux derniers, littéralement passée à la trappe, etc. Bilan : tantôt du sous-Altman, tantôt du sous-Russ Meyer. Pour s’apprécier à leur pleine valeur, les scènes de Paperboy devraient être vues transversalement, d’un oeil qui ne s’attarde pas trop sur les côtés et qui bouge le moins possible. Que par un phénomène d’absorption lente, le mood de Paperboy (sa canicule insistante, son bayou urticant, ses notes de piano, ses crimes moites, son érotisme périmé) après une heure, une heure quinze, finisse enfin par nous gagner.