Parangons d’un cinéma d’auteur ultra-puriste, les Straub continuent inlassablement leur route ardue et sans complaisance, travaillant avec des moyens toujours plus réduits, délivrant des films dont l’intense beauté n’est pas toujours exempte -osons l’avouer- d’un certain ennui. A la fois au-delà et au coeur d’un système narratif, Ouvriers, paysans met en scène plusieurs petits groupes de comédiens amateurs qui, tour à tour, lisent (ou disent) des textes d’Elio Vittorini. Auteur italien prématurément disparu en 1966, Vittorini était également un fervent communiste, s’armant du verbe et de la forme romanesque pour proposer de nouveaux idéaux sociaux, en lutte permanente contre le modèle capitaliste. Les monologues entendus dans le film sont tirés du récit Les Femmes de Messine, dans lequel l’écrivain imaginait une communauté de rescapés de la seconde guerre mondiale entreprenant la construction d’un monde utopiste sur les décombres du conflit.

Afin de coller au plus près de Vittorini, de rendre hommage à sa prose comme à sa pensée, les Straub ont opté pour une forme minimale : filmés sur fond de nature ensoleillée et montagneuse, en plans d’ensemble ou en plans serrés toujours fixes, les acteurs statiques déclament les paroles de leurs personnages ou récitent les extraits de leur registre collectif avec des intonations d’élèves besogneux, les yeux dans le vague et le visage impassiblement tragique. Cette sorte d’incantation panthéiste, malgré son austère rigidité, réussit souvent à évoquer l’âme de l’œuvre originelle et les divers combats menés par ses figures : la faim, le gel de l’hiver, le difficile labeur de la terre. Mais toute litanie à ses limites, et après avoir épuisé nos efforts d’imagination et de construction personnelle autour des mots nus, le couple de cinéastes nous laisse avec l’impression d’un dispositif quelque peu arbitraire, au sein duquel le texte lui-même finit par s’éteindre, étouffé par la gangue censée protéger ses richesses. Si l’on ne peut que soutenir l’intransigeance des Straub, leur refus de l’artifice et du cinéma comme industrie, ces deux pirates du septième art érigent un univers à la limite du professoral, asphyxiant à force de contrôle, où le spectateur n’a de place que docile et pétri d’admiration. Une liberté conditionnelle, en somme, à laquelle il est difficile de se soumettre pendant deux heures.