Après une longue traversée du désert, Open range semble marquer un petit retour en grâce de Kevin Costner, autant l’acteur (encore qu’on n’ait jamais douté de son talent) que le cinéaste. Western patient qui épouse le rythme tranquille de ses personnages, le film narre le destin de quelques vachers nomades dont le bétail paît en « open range » et leur affrontement avec un propriétaire terrien et ses sbires, hostiles à ce mode de vie qu’ils assimilent à du vol. L’affrontement en ville semble inévitable. C’est sans compter sur le passé torturé de Charley Waite (Costner lui-même), gâchette la plus rapide de l’ouest.

Il y a quelque chose de très eastwoodien chez Costner, autant pour sa façon de s’intéresser au western et aux fondations de l’Amérique (la violence, la communauté), de filmer son être vieillissant, que dans ses manières têtues de dernier classique, creusant son sillon au mépris des modes et des bouleversements esthétiques. Mais à la différence d’Eastwood, Costner est un indécrottable naïf doublé d’un lyrique, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse. On reste un peu circonspect par exemple sur sa vision idéalisée de la communauté des hommes. Il y a une croyance, chez lui, dans le bon sens des petites gens, des commerçants, des habitants simples d’une ville en devenir, s’associant à ces nomades contre la saloperie de quelques propriétaires terriens criminels. De ce point de vue, Costner est aux antipodes du Dogville de Lars Von Trier, de sa vision nihiliste du peuple et de la communauté, résumés à quelques personnages veules et mesquins. Chez Costner, les mêmes personnages sont nécessairement du côté gentil de la force et si cette façon de procéder brosse le spectateur dans le sens du poil, elle ruine aussi quelque peu sa démonstration (il existe pourtant une voie complexe et subtile entre Costner et Trier, c’est celle de Tourneur dans le chef-d’oeuvral Canyon passage).

En dépit de ce penchant manichéen (jamais rien de cornélien ni d’inextricable ici), Open range emporte souvent l’adhésion grâce à cette croyance indéfectible dans le pouvoir immémorial d’un paysage, d’un visage de femme, d’une amitié soudée dans le silence, autant de caractéristique « brutes » qui font parfois remonter à la surface le cinéma des origines. Il y a pourtant une conscience noire chez Costner, qui tient de la modernité et d’un retournement pessimiste de croyance, une façon de mettre en scène son propre naufrage (déjà Destination : Graceland, où il se contentait de jouer, laissait entrevoir cette dimension), de filmer ses propres échecs passés sans rien de complaisant. Au contraire, c’est comme si la sagesse dépressive de l’acteur et du personnage avançaient comme un seul homme. Costner au fond ne s’est jamais mis en scène que dans des personnages un peu maudits, marginaux et esseulés (ce côté franc-tireur est aussi ce qui le rapproche d’Eastwood). Rester en « open range », parcourir les pâturages en nomade où retrouver une communauté (celle du cinéma ?), se poser, s’intégrer, telle est ici sa dialectique, comme si un possible retour à la paix était enfin envisageable.