Vivre de nuits et de fantasmes : tel est le programme de Sergio (Ricardo Meneses), jeune éboueur portugais sans cesse à la recherche de nouveaux corps (masculins) et de sensations extrêmes. Le film de Joao Pedro Rodrigues n’en dit pas davantage et se repaît de cette figure quasi fantomatique arpentant Lisbonne comme un chien en chaleur, animal sexuel ivre de lui-même et des autres. En l’occurrence, tous ceux sur qui se pose son regard sombre et fiévreux. Et lorsqu’une de ses proies lui résiste, Sergio la suit, l’observe, la traque pour la faire sienne et combler le désir qui le ronge, même si celui-ci n’est pas toujours satisfait (voir la séquence des toilettes publiques où notre héros se fait sucer plein champ sans parvenir à bander). Car, un peu comme chez Monteiro, autre Lusitanien érotomane, la chasse et la conquête comptent presque autant que l’accomplissement de l’acte. Pouvoir étancher sa soif pulsionnelle dès lors qu’on en ressent l’envie, tout en étant conscient de l’incomplétude du geste et du besoin de récidive qu’il va entraîner. C’est ce mystère d’une sexualité jamais assouvie qui est ici montré, non pas, comme chez Breillat, en tant que comportement dysfonctionnel et source de terreurs, mais en tant qu’expérience, au sens le plus fort et le plus cinématographique du terme.

Ainsi, le réalisateur organise son récit avec ce qu’il faut de distance fascinée (la rigueur du cadre, la perfection de la photo) et d’identification fantasmatique (Sergio, double rêvé de Joao, capable de faire exister les dérives les plus folles, corps d’une autofiction exacerbée, corps de cinéma tout court). Construit en forme de gradation intense, jusqu’à ce que le protagoniste devienne l’ombre haletante d’une décharge publique, O Fantasma est un grand film hanté, à la fois par l’idée d’une toute puissance charnelle et par un étrange héritage surréaliste (dans son costume en latex, Ricardo Meneses évoque la Musidora des Vampires). L’alliance de ces deux obsessions magnifiques donne naissance à un monde aussi terrestre (Sergio s’enfonce toujours davantage au cœur de la pourriture), et donc réel, que décalé. C’est ce qui fait d’O Fantasma un chef-d’oeuvre absolu : les éléments les plus disparates finissent tous par converger vers l’imaginaire hypnotique et désormais indispensable de Joao Pedro Rodrigues, créateur de friches mentales et plastiques pour le moins inspirantes.