Premier long-métrage de la déjà superstar Romain Gavras, Notre jour viendra se voit comme le prolongement naturel de Stress (Justice), clip sulfureux qui fit sa gloire. Mis à part le remplacement du 93 pour les zones industrielles sinistrées du Nord, le manuel du co-fondateur de Kourtajmé est là, prêt à l’usage : errance, provoc à deux balles, fascination puérile pour le mal, sampling chic des lieux communs et obsessions de la droite des bistrots. A la place des racailles déferlant en centre ville, un tandem de gars roux, qui décampe un soir de sa routine aliénante, cassant tout sur son passage. Pour le premier, jeune idiot du village, il s’agit d’atteindre l’Irlande, selon lui paradis des roux. Le second, psy déjanté et leader charismatique du binôme (Cassel), profite simplement du voyage pour péter un plomb.

Voilà pour le scénario, badigeonné d’ambiguïté morale, attrape gogos qui fonctionnera certainement ici : Cassel urine dans un jacuzzi où un couple d’handicapés fait trempette (grosse musique, plans rapprochés : alerte rouge à la provoc), Cassel insulte les juifs, pousse son acolyte à « se faire un arabe », se rase le crâne, etc. Pas de panique, le désir de choquer se voit de si loin qu’il est bien difficile de s’en émouvoir le moment venu. Surtout qu’à peine posé, le choc est désamorcé par sa profonde bêtise, incommensurable superficialité qui donne au film l’allure d’un canular géant bouffi par sa propre indigence. Pas la queue d’une idée visuelle, ni l’ombre d’une pensée : derrière la violence de la caricature sociale, on ne distingue qu’une impuissance crasse (les scènes de brimades entre prolétaires, particulièrement gratinées, à côté desquels un épisode du Grand Frère passe pour un bijou de sociologie et de cruauté), derrière la violence tout court, une menace fastoche de France au bord de la guerre civile, assortie d’un lyrisme faussement droitier de poète rebelle fan de Fabrice du Weltz et de Claude Lelouch. Il faut voir l’image finale, envolée d’une montgolfière dans l’au-delà, pour mesurer l’incroyable pauvreté du style et plus généralement la vacuité intersidérale de l’entreprise, parti de rien pour aboutir vraiment nulle part.

Plus gênant encore que les métaphores mamouthesques ou le jeu approximatif d’Olivier Barthelemy : l’arrogance de Gavras, visiblement persuadé de dessiner les contours du cinéma français de demain. Or, il n’y a pas plus ringard que Notre jour viendra, littéralement calqué sur Les Valseuses, tarte à la crème du film d’émancipation depuis trente ans. L’effet boomerang est double : non seulement le film épouse un mouvement rétro vraiment poussiéreux (c’est un euphémisme, Blier n’est pas le plus fringuant des cinéastes des seventies), mais en plus il souffre atrocement de la comparaison avec son modèle. Blier montrait une jeunesse souveraine s’affranchissant de la génération précédente, quand Gavras se résout à vénérer ses ancêtres (sauf son gauchiste de père Costa, on voit le niveau de rébellitude) sans jamais parvenir à les égaler. C’est navrant, mais l’échec du film donne presque envie de virer réac : la liberté dont se targue Gavras l’ayant tout droit mené à une voie de garage, la contrainte lui ferait assurément du bien. Surtout si l’on songe à son compère de Kourtrajmé, Kim Chapiron, passé du consternant Sheitan au consistant Dog pound cornaqué par un producteur à poigne.