On pourrait balayer No Pain No Gain d’un revers de main, lui reprocher ses dix métros de retard. Déguisé en roublard postmoderne, Bay s’en prend effectivement au rêve américain avec un ricanement marqué 90’s. Toutes les pièces sont réunies pour égratigner ses frimeurs boursouflés façon Coen Bros : l’affaire du Sun Gym, éclatée en 1995, rassemble un beau panel de bras cassés, lancés dans une suite de rapts sanguinolents. Ironiquement, Bay fabrique une Floride quasi muséale, zoologique, noyée dans les chatoiements bling-bling et les fessiers sous Lycra. Tout est donc rétro dans le film : le décor, mais aussi la charge, braquée sur l’idéologie balnéaire de Miami ou de Venice Beach – on connaît la chanson.

Mais le tout petit génie du film tient au fait que Bay use de son propre style pour dynamiter ce beau monde. Généreux en matraquage criard, le roitelet ne peut s’empêcher de transposer ici la formule de ses blockbusters. À savoir : une forme de lissage automatique appliqué aux portraits, aux lieux, au rire, tous coulés dans le même moule et jetés dans un montage sous taurine. De quoi suffire à bâtir, malgré lui, une installation sur la beauferie de fin de siècle ? Pas tout à fait, mais presque : lancé en pilote automatique, No Pain No Gain reprend sans le vouloir le flambeau de Spring Breakers. Déjà, chez Korine, la connerie tournait en boucle, la satire renonçait à se distancer. Au contraire, elle épousait la forme de sa cible (la décadence à la MTV Beach Party). Fasciné par ces forêts de maillots mouillés, le film se lovait dans le vide, marabouté par la bêtise tout comme l’étaient ses héroïnes. À son échelle de bourrin à gros sabots, et le talent en moins, Bay fait la même chose. Ignorant le bon goût, il filme tout en garnement putassier, subitement converti au rap East Coast. On imagine la grossièreté produite (cartons goguenards vantant la « true story », gags douteux sur les nains, american dream frontalement épinglé au générique). Cette grossièreté pique les yeux, certes. Mais elle rend tout son sens, et toute sa noirceur, à l’histoire du Sun Gym.

Aussi, avec cette politique de l’automatisme, Michael Bay commente presque son propre cinéma (le sait-il ? Évidemment pas). Qu’est-ce qui le séduit, au juste, chez ces Goliaths écervelés ? Simple : le fait qu’ils soient actionnables comme ses G.I. Joe. Précisément, leurs têtes sont vides, leurs corps robotisés, ils n’obéissent qu’à des formules. Wahlberg est suspendu à son livre sur la réussite matérielle, comme un jouet tenterait de lire son propre mode d’emploi. L’action de Spring Breakers avançait grâce à la passivité des filles : rien (ou presque) ne pensait à l’intérieur de ces corps huileux, barbotant comme des morses agglutinés à Sea World. Tout pouvait donc leur arriver. Les carcasses agissent pareillement dans No Pain No Gain, leur crétinerie même leur fait accomplir l’impossible. Autrement dit : les cons, ça ose tout.

À en croire No Pain No Gain, l’effronterie des action heroes de Transformers et consorts viendrait donc de là : du rien. Wahlberg et Dwayne Johnson parviennent à rendre un peu de cette idée. Sérieux comme des papes ou hystériques au gré des situations, leur talent burlesque trouve parfois la bonne mesure. Si Bay reste grossier dans l’autodérision (encore une fois, ses trouvailles sont involontaires), eux foncent tête baissée dans le grotesque. Et ce, au nom d’un projet quasi poétique : tenter d’ouvrir, quitte à ne rien trouver, le cerveau de ces colosses en quête d’un plus bel avenir.